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Le député UMP dresse une comparaison historique hasardeuse entre l’esclavage des blancs et la traite des noirs.
INTOX. Mais que s’est-il donc passé dans la tête de Patrick Devedjian ce matin-là ? Au micro du Lundi Politique de France Bleu, le député UMP des Hauts-de-Seine était invité le 11 mai à réagir sur la commémoration de l’abolition de l’esclavage par François Hollande. La veille, le président de la République s’était rendu en Guadeloupe pour inaugurer un mémorial. Et là, après avoir admis que «l’esclavage est une horreur…», Devedjian ne peut s’empêcher une touche de relativisme historique un peu particulière : «… mais c’est un crime mondial qui a été partagé par toutes les civilisations. Je rappelle que les plus nombreux esclaves ont été les esclaves des Barbaresques, c’est-à-dire des Turcs. Et que les blancs européens, y compris les Français mais surtout les Italiens et les Espagnols ont été esclaves de Constantinople pendant des siècles. Ça ne concerne pas seulement l’Afrique, ça concerne tout le monde.»

(…) . Opposer l’esclavage des blancs par les Barbaresques à la traite des noirs, et affirmer que le premier a été équivalent voire plus important en nombre que le second, c’est quelque chose qu’on lit bien souvent… mais essentiellement dans la galaxie des sites d’extrême droite (comme ici et là). Sûrement parce que cette comparaison est une énormité sur le plan des chiffres.
Certes, l’histoire de l’esclavage n’a pas commencé au XVIe siècle avec la traite et l’esclavage des noirs. Depuis l’Antiquité, des prisonniers sont utilisés par des peuples de Méditerranée comme monnaie d’échange ou comme outil de travail.
Les «Barbaresques» évoqués par Patrick Devedjian, en fait des corsaires musulmans du Maghreb (Maroc, Algérie) et de l’Empire ottoman, ont effectivement capturé des Européens et pratiqué l’esclavage, en particulier pendant le XVIe siècle. Les corsaires européens de Livourne, des Baléares ou même de Marseille faisaient d’ailleurs de même.
Mais pour l’historienne américaine Gillian Weiss, auteure du livre Captifs et corsaires : l’identité française et l’esclavage en Méditerranée (dont on peut trouver un extrait en accès libre ici), la comparaison de Devedjian est «absurde». Et d’abord en termes d’échelle. «Plus de douze millions d’Africains noirs ont été transportés de l’autre côté de l’Atlantique entre le XVIe et le XIXe siècles. Un million, au plus, et probablement moins d’Européens blancs ont été capturés en Méditerranée […] Il ne faut pas oublier que les Français capturaient aussi des esclaves maghrébins et ottomans, et que la royauté en achetait même pour ses galères pendant le règne de Louis XIV.»
Mais au-delà d’une comparaison numérique improbable, Patrick Devedjian amalgame aussi des formes de servitudes très différentes. Comme l’explique Gillian Weiss, au XVIe siècle, les Européens capturés en Méditerranée sont le plus souvent des prisonniers de guerre et se retrouvent donc esclaves «par malchance» – en se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, capturés par des corsaires. Le commerce triangulaire répond, lui, à une logique coloniale et une idéologie «racialiste». «Du XVIe au XIXe siècle, on considère que c’est le destin des noirs que d’être esclave». Portugais, Espagnols et Français achètent des Africains et les transportent par bateau jusqu’en Amérique, où ils sont revendus pour servir d’esclaves aux colons blancs.
Libé

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