Avec les nouveaux outillages, nous pouvons sérieusement envisager de compresser fortement les coûts liés à la flexibilité, à la variété et à la complexité de la production de nombreux produits domestiques ou industriels. Il est certainement trop tôt pour statuer sur les impacts réels de l’imprimante 3D sur l’économie de demain.
Une chose est certaine, en revanche, on assiste aujourd’hui à un succès grandissant des fab labs et autres hackerspaces, autant d’espaces collaboratifs dans lesquels celles et ceux qui le souhaitent sont conviés à venir bidouiller, réparer, innover…
Ces tiers-lieux de fabrication, ainsi que les nomme Antoine Burret, ne relèvent pas d’un modèle unique. Ils constituent plutôt une vaste nébuleuse dont il est possible de repérer quelques idéaux-types, dont la réalité se charge bien souvent de brouiller les frontières.
La naissance des fab labs, première figure, remonte aux années 2000. La paternité en est imputable à Neil Gershenfeld, un universitaire du MIT qui a proposé aux étudiants désireux de mener à bien des projets personnels de travailler librement avec les matériaux les plus variés (plastique, verre, pièces électroniques…) et des machines telles que des découpeuses laser ou des fraiseuses numériques.
L’une des surprises, constate Gershenfeld dans le livre qu’il a consacré aux fabs labs, a été que « les étudiants ont réussi à fabriquer. Plutôt dotés de compétences adaptées au domaine de l’art et de l’artisanat qu’à celui de l’ingénierie de pointe, ils ont mené à bien, de façon systématique et autonome, des projets complexes qui se sont avérés opérationnels. » Depuis lors, un réseau de fab labs s’est constitué à travers le monde, sur la base notamment d’une charte rédigée par les pionniers du MIT.
Les hackerspaces, dont les racines remontent plus loin encore dans le temps, utilisent des ressources comparables à celle des fabs labs (locaux, machines, ordinateurs, Internet…) mais ils s’instruisent plus souvent d’une philosophie qui emprunte à l’éthique hacker.
Cette dernière promeut le partage des connaissances, la culture de l’open source, le travail et la collaboration libres, etc. Aucun étonnement en conséquence à constater que, dans ces espaces, on trouve plus souvent des makers spécialisés en informatique.
Les fab labs et les hackerspaces ont pour point commun de faire la part belle au do it yourself et à la création. Les investigations empiriques que nous avons conduites en France et en Europe montrent que cet esprit se décline de différentes façons.
De formation scientifique ou technique, certains makers souhaitent mettre leurs compétences au service de projets socialement innovants, afin de respecter des impératifs écologiques (production à l’aide de biens récupérés) ou de transplanter dans le domaine de la fabrication matérielle les principes de l’utopie du logiciel libre, à commencer par la possibilité de créer collectivement des produits, d’en diffuser gratuitement les plans, etc.
D’autres en revanche ne cherchent guère plus qu’à satisfaire le goût de la bricole en bidouillant aussi bien des matériaux traditionnels (du bois, du métal…), de l’électronique, des programmes informatiques ou encore, dans les biohackerpaces, de la matière vivante.
Pour d’autres, enfin, fab labs et hackerspaces peuvent être être des lieux propices à la mise au point de projets qui donneront lieu ensuite à valorisation marchande ou alors à l’allocation de services payants (réalisation de prototypes par exemple) au profit d’entreprises.
Les tiers-lieux de fabrication intéressent également tout ceux dont l’activité consiste à transmettre des connaissances et à former des professionnels. Les fab labs et les hackerspaces constituent en effet des laboratoires particulièrement utiles et novateurs pour s’approprier des techniques de conception et de fabrication innovantes, que ce soit dans les sciences de l’ingénieur, le design ou encore dans des domaines traditionnels (comme la verrerie).
L’exigence artistique est souvent au rendez-vous des techniques ainsi apprises et utilisées. L’éthique hacker qui irrigue une partie de ces espaces appelle en effet à redécouvrir, à travers le bidouillage, l’élégance de gestes productifs qui aboutissent à la fabrication de belles choses.
Avec la vogue de l’innovation ouverte, enfin, de plus en plus d’entreprises commencent à porter de l’intérêt aux fab labs et à leurs modes de fonctionnement. Quand elles n’incitent pas une partie de leurs salariés à fréquenter ces tiers-lieux pour y découvrir le plaisir de hacker et de collaborer librement (comme c’est cela le cas déjà avec Ford, qui a passé contrat avec un Tech Shop), elles s’inspirent des modes d’organisation des tiers-lieux pour débrider plus aisément l’imagination collective et donner vie autrement à l’innovation.
Le monde des tiers-lieux de fabrication est, on le constate, plutôt hétérogène. Pour la plupart, les acteurs n’ont pas pour ambition première de promouvoir une nouvelle révolution industrielle ou d’inventer une forme inédite de production marchande.
Le moteur de l’action est d’abord une envie de réaliser, par soi-même ou avec d’autres, des projets qui n’ont, dans bien des cas, aucune autre finalité que le plaisir de la création, du bidouillage et de l’innovation gratuite.
Une telle manière de faire n’est pas contradictoire avec des pratiques orientées vers la défense de certaines valeurs (sociales, écologiques…) ni même avec la quête de novations à valeur marchande. Dans tous les cas cependant, et quelles qu’en soit les implications, l’esprit qui préside à cette reconfiguration des pratiques révolutionne au moins autant notre rapport au monde matériel, aux organisations et aux autres que les technologies nouvelles (à commencer par l’imprimante 3D) qui, régulièrement, attirent l’attention des médias.
Telos