19/05
En 2012, un enseignant sur deux était prêt à voter pour François Hollande. Trois ans après, alors que plusieurs milliers d’entre eux sont dans la rue pour demander le retrait de la réforme du collège, la désillusion gagne la profession.
«Il faudrait être masochiste pour continuer à aimer le gouvernement».
«Pour 2017, je me pose la question. Si François Hollande est au second tour contre Marine Le Pen je voterais évidemment pour lui, mais si non, je ne sais pas. Déjà, pour les régionales, ça va faire mal», anticipe l’enseignante.
«Cette réforme est suicidaire électoralement. S’ils la passent, les enseignants vont définitivement se détourner des socialistes», prédit un enseignant en tournant les talons.
Tous le reconnaissent: les débats politiques dans la salle des profs sont houleux ces derniers temps. «On est nombreux à avoir voté pour François Hollande en 2012, à avoir cru en l’alternance», admet un enseignant en sciences économiques et sociales d’un lycée parisien, venu à la manifestation mardi en soutien à ses collègues des collèges. «Certains étaient réticents avant à l’idée d’aller manifester contre une réforme de la gauche, mais maintenant, le ras-le-bol a pris le dessus. Pour les prochaines échéances électorales, beaucoup s’interrogent», poursuit-il, glissant à demi-mot qu’il ne met plus de bulletins PS dans l’urne. […] Le Figaro
À la veille de la mobilisation, le JDD a interrogé une dizaine de profs en colère, la plupart de gauche : hommes, femmes, syndiqués ou non, enseignant l’histoire-géo, le latin, les maths, l’allemand, le français ou la musique. Certains travaillent dans des collèges favorisés, d’autres en réseau d’éducation prioritaire. Les uns en banlieue parisienne, les autres dans le Nord-Pas-de-Calais, en Rhône-Alpes, en Bretagne… Pourquoi s’apprêtent-ils à faire grève ? Un constat sévère.
D’abord, la présentation de la réforme leur a déplu. “Je n’ai jamais perçu autant d’amertume en salle des profs, assure Tanguy Simon, qui enseigne dans un établissement des Yvelines. Quand la ministre de l’Éducation passe son temps à répéter que les élèves s’ennuient au collège, c’est forcément blessant… Je suis prof de français, plus jamais je ne voterai PS.” Les professeurs de latin et de classes bilangues n’ont pas apprécié d’être pointés du doigt :
“Parmi mes 110 élèves, beaucoup sont issus de milieux très défavorisés. Mes cours ne sont pas réservés à une élite !“, réagit Isabelle Woydyllo, enseignante dans un collège du 93. Chacun aimerait pouvoir s’opposer à la réforme sans être traité de “pseudo-intellectuel”, d'”immobiliste” ou de “conservateur”. […]
La réforme du collège vise à donner les mêmes chances à tous les élèves. Ces professeurs craignent, au contraire, qu’elle creuse les inégalités. En raison de l’autonomie laissée aux établissements : “Ce sera la fin de l’Éducation nationale, le début de l’éducation locale.” En raison de la suppression des classes bilangues : “Les parents qui en ont les moyens mettront leurs enfants dans le privé. Cela supprimera la mixité sociale qu’avaient réussi à instaurer certains collèges défavorisés.”
Ou en raison de programmes jugés “vides” : “En français, le texte proposé ne mentionne ni auteurs, ni œuvres, ni courants littéraires. Il cite pêle-mêle des supports possibles aussi variés que les récits, les contes, la poésie, les BD, les fictions audiovisuelles…, s’alarme Véronique Marchais, professeur de lettres en Indre-et-Loire. Quelle est la probabilité qu’on étudie des comics et des séries télé à Henri-IV? Ce sont les pauvres qui auront droit à cela…“. […]
Le JDD