Extraits d’une tribune de Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à l’université de la Sorbonne – Paris IV sur le verdict la relaxe des deux policiers poursuivis pour la mort de Zyed et Bouna.
Le tribunal de Rennes a rendu son jugement, lundi 18 mai, dans l’affaire de la mort de Zyed et Bouna. La justice a suivi les réquisitions du parquet, qui réclamait la relaxe des deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger. Pour Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à Paris IV, cette décision «pose l’existence de deux poids deux mesures» dans la justice française.
Les institutions ne sont pas légitimes dans la mesure où elles sont extérieures, comme si elles agissaient et s’exprimaient dans un langage étranger au profit des catégories sociales supérieures ou des Blancs.
À n’en pas douter, le verdict sera interprété comme un profond déni de justice non seulement par les proches, mais plus généralement par la population des quartiers populaires. Le verdict réitère le drame et sa charge émotionnelle. Comme une sorte de rite, il fonde une identité commune négative, celle des victimes des pratiques institutionnelles et du rejet de la République, à laquelle il associe le sentiment d’une injustice absolue puisqu’elle viole les codes et les principes moraux fondamentaux de la société.
Ils sont rejetés et traités de façon inégalitaire et discriminatoire : justice de classe, justice blanche entérinant le racisme et légitimant la violence. Malgré les discours, les habitants des quartiers ne sont pas, au même titre que les autres, sujets de droit. Ce déni, quotidien et continu, dont chacun fait l’expérience, et à partir duquel il interprète sa condition, empêche littéralement de vivre. Au-delà des droits, la possibilité de devenir ou d’être un individu accompli est entravée ou même niée : les institutions ne sont pas des mécanismes habilitants. Avec le drame, elles se révèlent être des forces mortifères. Au mieux, pensent les habitants, confisqués au profit des catégories sociales moyennes ou supérieures, elles fonctionnent sans nous, mais le plus souvent, elles fonctionnent contre nous. […]
En dix ans, venant combler le vide politique, l’islam a pris une place centrale dans la vie sociale et individuelle. Pour une grande partie de ces populations, il s’agit là de la seule ressource culturelle et politique disponible, grammaire de la vie quotidienne pour les uns, notamment les plus pauvres, vecteur de la construction personnelle et identitaire, garant d’une intégrité émotionnelle pour les autres. Il contribue puissamment à une forme d’intégration et de marginalisation simultanées. Dans une société hostile, qui prive des ressources institutionnelles, il offre une alternative politique et culturelle, rattache au monde et donne une place mais, en même temps, il renforce et légitime le sentiment d’étrangeté et d’extériorité. C’est à travers son prisme que sont évaluées les situations et jugées les pratiques institutionnelles. […]
Merci à Athéthique