Treize ans après le cri de ralliement frontiste : « Charles Martel 732, Le Pen 2002 ! », voilà que les Identitaires, un groupe d’extrême droite, nous remettent ça, en appelant à faire Bloc ce 7 juin, à Poitiers…
Les mythes, on le sait, ont la peau dure. De ce mythe-là, la peau est tellement dure que même des historiens de la trempe d’un Marc Bloch ou d’un Lucien Febvre n’ont pas réussi à la fendre. Faut-il pour autant continuer à laisser libre cours aux obsessions des esprits frileux, mus par un nationalisme étroit quand ce n’est pas par une fière ignorance ?
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« Inventer le passé »… Sait-on, justement, que la bataille de 732 fut connue d’abord sous le nom de « Bataille de Tours » ? […]
Autre curiosité : les historiens passeront longtemps sous silence un épisode singulier qui précéda de peu la bataille de 732, et en fut même une des causes occultes : une histoire d’amour ! Entre la fille du duc d’Aquitaine, à la beauté légendaire chantée par les troubadours, et le gouverneur berbère musulman de Narbonne. Le mariage, officiel, provoqua à la fois les foudres de Charles Martel et de l’émir Abd er-Rahman : le premier, redoutant les conséquences d’une telle alliance, attaquera les terres du vieux duc ; le second décrétera une fatwa contre le renégat berbère, qu’il fera décapiter avant d’envoyer la chrétienne à Damas, dans le harem du calife, puis de monter ravager l’Aquitaine et le Poitou… […]
Et « Poitiers » ressurgira dans l’histoire par intermittence, au gré des impératifs du moment. D’abord, avec les Croisades. Puis, avec Jeanne d’Arc : la légende dit que, parmi les voix que la Pucelle entendit, celle de sainte Catherine lui enjoignit de se rendre à Fierbois (entre Châtellerault et Poitiers), pour y déterrer l’épée de Charles qui devait lui donner la force de bouter les Anglais.
Au XIXe siècle, avec la pédagogie coloniale, Poitiers réinvestit les manuels. Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans l’Indre, un réseau de résistants prend le nom de Brigade Charles Martel. En pleine guerre d’Algérie, les écoliers indigènes étaient tenus de déclamer la formule choc : « En l’an 732, Charles Martel écrasa les Arabes à Poitiers ». […]
Plus près de nous, le FN et son affiche-collector : « Martel 732, Le Pen 2002 ». Et en 2015, ce 7 juin, revoici donc les Identitaires et Riposte laïque qui, face à l’avancée inexorable de l’Antéchrist mahométan, remettent en selle un croque-mitaine portant la croix et le marteau. Vénérer le passé à ce point conduit à l’inventer, en effet.
Salah Guemriche est essayiste et romancier algérien, auteur notamment de : Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010) ; Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou (Denoël 2011) ; Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007, Points 2012 et 2015) ; L’homme de la première phrase (Rivages / Noir 2000).
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