Jadis rétifs au parti d’extrême droite, les enseignants sont de plus en plus poreux aux idées de Marine Le Pen. Les débats qui enflamment la réforme des programmes d’histoire au collège en attestent.
Dans le vestibule, un drapeau tricolore inciterait presque à se mettre au garde-à-vous. Sur un pan de mur, une affiche siglée Front national rappelle qu’”Être français, ça s’hérite ou ça se mérite et ça se respecte”. Derrière des vitrines kitsch, des voitures miniatures célèbrent la grandeur perdue de l’automobile. Patriotisme, identité, nostalgie : bienvenue au musée du “tout fout l’camp”, dans l’antre d’Hervé Hocquet, professeur d’histoire-géographie au lycée Poncelet de Saint-Avold, en Moselle. Plus chaleureux que son intérieur, celui qui fut conseiller municipal FN de cette ville de dix-sept mille habitants jusqu’en 2014 propose un café mais c’est du petit-lait qu’il boit ces temps-ci. À grandes lampées et sans bouder son plaisir de “fervent nationaliste”. “La polémique liée aux futurs programmes d’histoire au collège prouve que nos idées infusent”, jubile ce quinquagénaire.
Soumise à la consultation des enseignants jusqu’au 12 juin, cette réforme dessinée par le Conseil supérieur des programmes est accusée par ses détracteurs d’entacher le “roman national”. “Quand Pierre Nora, historien de gauche en cour à l’Élysée, dénonce un projet qui donne trop de place à l’islam et aux traites négrières au mépris des Lumières, nous applaudissons et espérons qu’il sera entendu.” Et lorsque le même Pierre Nora pointe la difficulté à soumettre certains élèves “issus des vagues d’immigration massive aux critères de la francité”, le peuple Bleu marine s’incline. “J’ai rarement vu les débats scolaires à ce point irrigués par la pensée d’extrême droite”, déplorait il y a peu François Dubet, sociologue de l’éducation. Contributeur au site Riposte laïque, connu pour fricoter avec le Bloc identitaire (frange radicale de l’extrême droite), Hervé Hocquet croit “au choc des civilisations”. Et adhère “à l’idée d’une cinquième colonne islamiste résolue à changer la nature de notre culture. Quant au risque du “grand remplacement”, celui de voir une population non européenne se substituer à la nôtre pour nous réduire à l’obscurantisme, il est réel.” D’autant plus “si les pédagogues font allégeance à toutes les communautés en présentant la France comme un pays d’immondes colonisateurs.
Pour ne pas être taxée de racisme, la gauche prône la haine de la nation. À Rome, vis comme les Romains : c’est ce discours d’assimilation que l’école devrait tenir !”. Désormais “plus Marion que Marine”, Hervé Hocquet a divorcé du parti lors des départementales. En cause, une querelle avec la tête de liste FN à Saint-Avold soupçonnée d’inclination pour le IIIe Reich. Reste que l’homme a le FN chevillé au coeur. Et l’assume : “Je suis normal, je n’ai pas un troisième oeil au milieu du visage !” Si la harissa lui monte au nez à l’évocation du “snack halal” voisin du lycée, c’est le coeur léger qu’il salue son proviseur. “Nous avons des enseignants de tout bord, tonitrue Denis Noël, aux manettes de cet établissement de mille trois cents élèves. Tant que M. Hocquet respecte les programmes, pas de souci.” Et de préciser qu’ “aucun parent ne s’est plaint : le temps des griefs idéologiques a vécu”. À la sortie des cours, plusieurs élèves s’exprimeraient presque sur l’air de “tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir un prof frontiste”. Le “point de détail”, la préférence nationale ? Ils s’en “foutent”». Corentin, en terminale, loue “la neutralité de M. Hocquet pendant les cours”. Pour Pierre-Yves, 17 ans, “pas de raison de marginaliser quelqu’un qui se réclame d’un parti pour lequel vote un tiers de la population”. En Moselle, 32 % des voix se sont portées sur le FN lors des départementales.
VSD
Article intégral dans VSD 1972 (du 11 au 17 juin 2015)