Un projet de loi visant à renoncer à l’interdiction du port de signes religieux du secteur public vient d’être déposé au Québec. Pour Mathieu Bock-Côté, sociologue et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu’à la radio de Radio-Canada, reléguer l’identité nationale dans le domaine privé et réduire la citoyenneté à ses droits relève de l’illusion.
Tout comme la religion a été progressivement reléguée dans le domaine privé, l’identité nationale serait aussi appelée à l’être dans les décennies à venir, et les pouvoirs publics auraient simplement pour vocation d’encadrer le «vivre-ensemble» en balisant les libertés de chacun.
L’immigration massive qui bouleverse les sociétés occidentales les force à redécouvrir leur propre identité historique et à sortir de l’illusion moderniste qui les poussait à se définir seulement par des valeurs universalistes -ou des
valeurs républicaines, comme on dit en France.
Depuis 2006, avec la crise des accommodements raisonnables, la question du multiculturalisme s’est invitée au cœur de la politique québécoise et cela, de nombreuses manières. À travers elle, on se demande de quelle manière assurer la meilleure intégration possible des immigrés. La société d’accueil est-elle en droit d’imposer ses références historiques et identitaires à la manière d’une culture de convergence? Encore doit-elle, pour cela, assumer cette identité et ne pas la réduire à un catalogue de valeurs universelles. Ou doit-elle plutôt considérer l’identité de la nation d’accueil comme une identité parmi d’autres, pour éviter de discriminer celle des immigrés ?
La société d’accueil est-elle en droit d’imposer ses références historiques et identitaires à la manière d’une culture de convergence?
Le précédent gouvernement, celui du Parti Québécois (2012-2014) était de la première école et entendait, avec son projet de Charte des valeurs québécoises, définir un cadre d’intégration reposant sur la valorisation de la laïcité. Mais il ne s’agissait pas d’une laïcité abstraite, désincarnée. À travers sa défense de l’égalité entre les hommes et les femmes, elle s’accompagnait d’une défense des mœurs de la société d’accueil et cherchait, avec plus ou moins de succès, à traduire politiquement le principe suivant: à Rome, fais comme les Romains. Elle reconnaissait aussi le patrimoine historique et religieux particulier du Québec, marqué en profondeur par le catholicisme. La laïcité était considérée comme un outil pour favoriser l’intégration des immigrés à l’identité québécoise.
La proposition péquiste recevait un appui majoritaire de la population, mais s’est vue sévèrement attaquée par la presque totalité des commentateurs, ralliée à une version ou une autre de l’idéologie multiculturaliste, et convaincue qu’on ne saurait s’en éloigner sans heurter et transgresser les droits de l’homme. […]