Entretien. Le jour de la création par le gouvernement d’une instance de dialogue sur l’Islam, Dalil Boubakeur le président du Conseil français du culte musulman (CFCM) a proposé sur Europe 1 d’utiliser les églises vides pour le culte musulman. L’abbé Grosjean, curé de Saint-Cyr l’Ecole dans les Yvelines lui répond.
VA. Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur a proposé hier d’utiliser les « églises vides » pour pratiquer le culte musulman, qu’en pensez-vous ?
Abbé Grosjean. Il semble qu’il s’est rendu compte depuis que ses propos ont provoqué la stupeur de beaucoup de nos concitoyens, et que cette idée n’est même pas envisageable. Pour trois raisons : c’est n’est pas une solution pour régler le problème de lieux de culte pour la communauté musulmane, car les églises ne sont pas « vides » dans les zones urbaines : je ne suis pas certain que Monsieur Boubakeur soit en effet intéressé par nos églises de village, en pleine campagne… Ensuite, mêmes ces églises « vides » servent encore à des temps de prière ponctuels ou à des obsèques et demeurent des lieux de mémoire et de prière pour ceux qui vivent là. Enfin, parce qu’on ne joue pas avec le sacré, les symboles et l’histoire. Des générations ont prié là, dans ces églises… ces clochers sont les témoins et les signes de l’histoire de notre pays, de notre mémoire, de nos racines, de notre culture. C’est notre identité. On doit la respecter.
VA. Quel enseignement en tirer ? Comment en est-on arrivé là ?
Abbé Grosjean. Il faut rester vigilant y compris face aux « fausses bonnes solutions » que pourraient proposer des élus ou des croyants naïfs. Mais cet épisode doit aussi réveiller les français. S’ils tiennent à leur église, il faut aussi qu’ils en reprennent le chemin… Il faut que ces églises soient des lieux vivants. Il y a eu là comme un sursaut instinctif, bien au delà du cercle des pratiquants : « ne touchez pas à nos églises ! ». Je m’en réjouis. Il faut maintenant aller plus loin, plus en profondeur, et que chaque français puisse redécouvrir l’église de son quartier, de sa ville, de son village. Que celle-ci puisse rester ouverte en permanence parce qu’on y passe, qu’elle puisse demeurer ce lieu où l’on vient se rassembler, dimanche après dimanche, mais aussi à l’occasion des joies et des peines de la vie… Que le peuple de France retrouve cette foi chrétienne qui fait de ces églises bien plus que des bâtiments ou des musées !
VA. On dit que la société française est déchristianisée, comment expliquez-vous que l’idée que des musulmans puissent occuper une église choque ?
Abbé Grosjean. Une église, ce n’est pas qu’un bâtiment. C’est l’âme d’un village, d’une ville. Cela fait partie de notre identité. Les français y tiennent. Ce sont nos ancêtres qui ont construit ces cathédrales et ces chapelles… Cela ne veut pas dire que nous sommes contre la liberté religieuse. Rien dans la loi n’interdit que nos concitoyens musulmans puissent à leur tour construire leurs lieux de culte. C’est d’ailleurs un autre sujet sur lequel on pourrait questionner certains : à quand la reconnaissance de cette liberté religieuse dans les pays musulmans ? Quand nos frères chrétiens pourront-ils non pas transformer des mosquées en église, mais simplement construire ne serait-ce qu’une seule chapelle en Arabie Saoudite, par exemple ?… C’est le souhait de la réciprocité, un vœu du pape François dans son encyclique Evangelii Gaudium (novembre 2013) : « je prie et implore humblement ces pays [de tradition islamique] pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux » (EG §253).