A chaque attentat, ceux de janvier comme les derniers de juin, la France ne cesse d’en appeler à la République et de reconsidérer son rapport aux étrangers. L’historien Patrick Weil vient de publier “Le Sens de la République” (Grasset) avec le journaliste Nicolas Truong. Un livre “qui dégonfle les paniques et les envolées sur une France qui n’aimerait pas l’autre”. Extraits de son interview dans Libération.
Concrètement, comment renforcer la cohésion nationale ?
La République, c’est d’abord rassembler sur ce que nous avons en commun, mais aussi faire sa place à la diversité, et la respecter. Cette approche peut s’appliquer partout, même aux cantines scolaires.
On peut y constituer la majorité des menus avec ce qui est commun à tous : légumes, fruits, poissons, œufs. Et de temps en temps, pour montrer la diversité de notre citoyenneté, offrir de la viande et la possibilité d’alternatives, halal, casher ou végétarienne. L’école montrerait ainsi son respect pour toutes les convictions, mais aussi que les choses que nous avons en commun sont plus nombreuses que nos différences. Pareil pour les jours fériés. Nous respectons 52 dimanches et 6 jours fériés issus de la tradition catholique, et 5 jours fériés strictement laïques. La commission Stasi, unanime, a proposé qu’un jour férié soit offert au choix de chacun. Le lundi de Pentecôte – dont on ne sait plus bien s’il est encore férié – pourrait être offert au choix avec l’Aïd, Kippour ou tout autre fête religieuse. Chaque salarié choisirait son jour au choix chaque année. Ce serait une reconnaissance de notre diversité spirituelle plus développée en métropole qu’en 1905 et assurer ainsi le caractère privé du choix de chacun.
Vous dites qu’en France, il n’y a pas d’insécurité culturelle mais une «insécurité historique».
Qu’entendez-vous par là ?
Si des Français se sentent en «insécurité» face à un compatriote de couleur, c’est parce que leur référent historique ne les a jamais inclus. Il n’inclut pas les Antilles, l’Algérie ou le Mali, alors qu’ils font partie de l’histoire de France. Nous avons en commun une histoire qu’il nous faut partager, que ce soit dans les manuels scolaires ou dans la manière dont nous nous ressentons comme peuple.
Il faut donc un nouveau «grand roman national» ?
Justement pas un «roman national», qui sous-entendrait une invention, mais un récit national qui ne soit pas «métropolitanocentré» […]
Est-ce que cela suffira à refonder la cohésion républicaine ?
A donner au moins un sens, une direction à la République à l’inverse d’un vivre-ensemble, d’une coexistence minimaliste. Construire et ressentir un projet commun n’implique pas le refus des liens affectifs extérieurs.
Prenez le conflit israélo-palestinien. Les politiques ne cessent de répéter : «Il ne faut pas importer le conflit !» Et cela ne marche pas. Pourquoi ? Il se trouve que la France est le seul pays au monde, avec la région Israël-Palestine, où vivent ensemble juifs et musulmans arabes. Mais, ici, non séparés et dans un espace laïque.
Certains de nos compatriotes ressentent une forte et ancienne solidarité avec les Palestiniens ou avec Israël. Alors, au lieu de dire «N’importons pas !», faisons l’inverse ! Faisons de la France un lieu où Israéliens et Palestiniens pourraient se retrouver avec nous pour discuter, échanger et progresser vers la paix ! Ne nous contentons pas de coexister, répondons quand nous le pouvons à la vocation universelle de la France !