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Arrivé en janvier à Besançon, Joseph Ebanga Ndoumou, originaire du Cameroun, a rejoint la France clandestinement depuis la Libye, via l’Italie. « Sur incitation de journalistes français qui nous ont promis monts et merveilles avant de nous lâcher une fois leur reportage télé réalisé… » Récit (…)

Colère contre les journalistes télé français qu’il accuse de l’avoir plongé dans cette galère. Colère aussi envers lui-même, d’avoir été assez naïf pour croire à leurs promesses, céder aux sirènes et se laisser embarquer dans cette folie. Quant à la mélancolie, elle concerne sa vie d’avant, lorsqu’il était le patron considéré d’une entreprise de plâtrerie qui employait huit salariés à Sabha, ville du sud de la Libye et berceau de la famille Kadhafi où il s’était installé trois ans auparavant.

Les affaires étaient prospères, il envisageait même de financer une boutique de téléphonie pour sa mère et une de vêtements pour sa sœur, toutes deux restées au Cameroun. Une époque qu’il évoque avec nostalgie dans le cabinet de son avocat bisontin Me Hafida Abdelli qui s’occupe de ses papiers et, « vu les éléments et les preuves réunis dans son dossier », a « bon espoir de pouvoir lui faire obtenir le statut de réfugié. » Sachant qu’en 2014, la France a reçu 64.310 demandes d’asile et en a accordé 5.825. (…)

 « Tout a basculé en 2012, deux jours avant Noël, lorsque j’ai été abordé par un gars que je connaissais et qui m’a dit : “J’ai été contacté par des journalistes français qui cherchent un Africain parlant français, arabe et anglais. J’ai pensé à toi…”»

Il accepte de les rencontrer le soir même, à Mourzouq, à quelques kilomètres de chez lui, en rentrant du travail. C’est alors que l’équipe télé en question lui expose son projet. Il s’agit d’un film « que personne n’a encore réalisé », au plus près des Africains qui cherchent à venir en Europe, et qui devrait s’appeler « Paris à tout prix ».

Pour cela, il faut que Joseph, qui sera flanqué de deux compagnons de voyage, Camerounais eux aussi, accepte de porter micro et caméras cachés. La contrepartie ? « Ils m’ont dit que je serais l’acteur principal de leur film et promis qu’une fois à Paris, j’aurais un cachet de 460.000 €, un toit, et des papiers. “Tu n’as pas à t’en faire, on va utiliser nos relations, on a le bras long tu sais !” Voilà ce qu’ils m’ont dit. Quant à mes affaires personnelles ? L’argent sur mes comptes en Libye ? “Là encore, pas de problème, on fera tout suivre ! Et vu ce que tu nous as montré des travaux que tu réalises, tu n’as pas à t’en faire, tu trouveras sans problème du travail en France et tu gagneras deux fois plus qu’ici.” Je me faisais l’équivalent de 4.000 € par mois une fois mes ouvriers payés, alors je me suis dit que c’était vraiment une belle opportunité. Ils m’ont montré qu’ils avaient beaucoup d’argent dans leurs poches. Mais j’hésitais encore. »

Le coup de fil en direct du patron de la société de production, Tony Comiti, qui lui confirme travailler pour des grandes chaînes et connaître beaucoup de monde, va achever de le convaincre. « Mis en confiance, j’ai accepté. »

Joseph, qui a alors 28 ans, et les deux “acteurs secondaires” du reportage, Elie 25 ans et Emile, 19 ans, sont dès lors transformés en candidats à l’exil et brinquebalés comme tels. « Et ce sont les journalistes qui vont payer les différents passeurs : 450 € ici, 3.000 € là, etc. »

C’est d’abord un périple périlleux à bord d’un pick-up dans le désert libyen.

« On nous avait dit que si on était des blacks et des blancs ensemble dans une voiture, on allait passer pour des espions et avoir des problèmes. Les journalistes sont donc partis de leur côté et nous, on a traversé le désert dans ce camion. On était bâchés comme des tomates. Quatre jours à ne rien manger et à ne rien boire d’autre que notre urine. Il y a eu des morts. Ils ont été enterrés dans le désert. »

Puis c’est l’arrivée à Tripoli avec la prise en charge par un nouveau maillon de la chaîne des passeurs. « À chaque étape, les journalistes nous disaient ce que nous devions dire face à la caméra, on répétait et ils nous filmaient… »

Ils gagnent ensuite la ville portuaire de Zouara. « Mais comme nous sommes début janvier, on nous dit que la mer est trop dangereuse. Qu’elle va nous bouffer tous si on embarque. Qu’il faut attendre mai-juin avant de pouvoir embarquer. » Joseph et ses amis envisagent alors de rebrousser chemin et de rejoindre leur ancienne vie dans le sud du pays. Avec bonne situation et papiers en règle (comme le prouvent les photos que Joseph postait alors sur Facebook en exhibant vêtements, chaussures de marque et autres iPad, symbolisant sa réussite).

« Mais les journalistes nous ont dit de patienter, de tenir bon, que nous étions des héros, qu’il fallait penser à tout ce qu’ils nous avaient promis, que quand on arriverait à Paris, ce serait l’Eldorado. » (…)

Autant d’épisodes attestés par les messages échangés via Facebook entre les Camerounais qui se plaignaient et la production française rentrée à Paris qui les persuadaient de rester dans l’attente du feu vert pour embarquer. Des messages dont Joseph a gardé copie et où les journalistes les exhortent effectivement à « tenir bon ».

Ils vont ainsi serrer les dents. Jusqu’au 2 juillet, à 5 h du matin, où ils sont 250 à monter dans un bateau de pêcheurs prévu pour 35. Deux journalistes de la production – dont une nouvelle, jeune femme de 22 ans tout juste sortie d’école – les ont rejoints et sont avec eux. « On n’avait qu’une boussole et un GPS pour s’orienter et c’est un clandestin Somalien qui tenait la barre », se souvient Joseph. (…)

Ainsi « lâchés », Joseph et ses amis vont s’enfoncer dans l’ombre, la peur et l’errance des sans-papiers. Zombies administratifs, sans titre ni droit, hébergés çà et là par des amis ou de lointains parents installés dans l’Hexagone. Pour Joseph, ce sera Paris, Tours, Chartres et Caen… avant d’arriver à Besançon, à l’invitation d’un de ses copains d’enfance qui va l’héberger dans un premier temps. Tombé malade, Joseph est pris en charge par Médecins sans Frontières qui se préoccupe alors de sa situation administrative et lui conseille d’entreprendre les démarches nécessaires à une demande d’asile. Laquelle est désormais en cours, ce qui lui permet de percevoir 340 € par mois au titre de l’ATA (aide temporaire d’attente) d’ici à ce que l’OFPRA statue sur son cas.

Entre-temps, le reportage dont ses amis et lui ont été les « malheureux héros » a été diffusé en novembre 2013 sur M6. Ce malgré leur opposition, formulée par le biais de l’avocat parisien qu’ils ont saisi pour intenter une procédure contre la production.

Scoop pour les uns, scoumoune pour les autres ?
Si une première plainte au procureur n’a pour l’instant rien donné, une nouvelle a été déposée en avril dernier, devant le juge d’instruction cette fois, avec constitution de partie civile, pour « aide directe et indirecte à l’entrée et au séjour irrégulier, soumission à des conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine, risques causés à autrui, omission de porter secours et escroquerie. » (…)

Le patron de la société de production qu’ils accusent de les avoir floués avait alors répondu : « Tout ça, c’est du chantage au droit à l’image. Je ne sais pas par qui ils sont manipulés. Ils étaient candidats au départ et nous n’avons rien payé, rien promis ! »

Les billets de train qu’ils ont gardés, payés par la journaliste, tendent pourtant à prouver le contraire… Ont-ils été sacrifiés sur l’autel du reportage choc à tout prix ? Avec le scoop pour les uns, la scoumoune pour les autres… À la justice de le dire.

Pour l’heure, Joseph Ebanga Ndoumou explique qu’il lui est « impossible de retourner en Libye ou au Cameroun. Comme ils n’ont pas flouté les visages dans leur reportage, contrairement là aussi à ce qu’ils avaient promis, nous sommes identifiés comme des traîtres tant par les passeurs que par les candidats au passage. (…)

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