John R. Bowen, anthropologue américain scrute le rapport à l’islam des sociétés occidentales, et veut « déconstruire les idées fausses qui alimentent le rejet des musulmans ». ila publié « l’Islam, un ennemi idéal” (Albin Michel, 2014).
Le rejet de l’islam est-il une spécificité française ? L’anthropologue américain John R. Bowen observe la montée, en Europe comme aux Etats-Unis, d’un populisme d’extrême droite qui, selon lui, « instrumentalise les citoyens musulmans à des fins électoralistes ».
La visibilité de l’islam depuis les années 80, par la demande de mosquées, le port du voile, les boucheries halal, change les habitudes et le paysage. Or la réticence à voir la société changer s’exprime par la haine.
Votre livre s’intitule l’Islam, un ennemi idéal, en quoi est-il «idéal» ?
De tout temps, dans l’histoire occidentale, certains groupes ont fait l’objet de haine : les juifs, les catholiques, les Roms, les homosexuels. Aujourd’hui, les cibles de cette haine sont les musulmans. L’islam étant une religion méconnue, on peut y projeter toutes sortes de fantasmes : «Les musulmans battent leurs femmes» ; «ils assassinent les juifs, les chrétiens». C’est très facile d’en faire le bouc émissaire de n’importe quoi. Depuis le 11 Septembre, un sentiment anti-islamique s’est répandu aux Etats-Unis sous l’influence du protestantisme évangélique. En Europe, les différents attentats semblent confirmer l’idée qu’une guerre fait rage entre l’islam et l’Occident. […]
Le multiculturalisme propre à la société américaine et qui fait peur à certains en France permet-il de réduire les tensions identitaires ?
La grande différence avec la France, c’est que l’identité nationale américaine est composée d’identités multiples : afro-américains, hispano-américains… Dès le départ, il y a donc moins de tensions. La présence d’un menu sans viande est acceptée. A l’aéroport de Dallas, il y a des femmes en foulard à la douane, même les fonctionnaires peuvent porter le foulard. La liberté religieuse prime. […]
La laïcité française n’est-elle pas en train de devenir inégalitaire ?
Symboliquement cette loi est intouchable mais dans les faits, elle a beaucoup évolué. Prenons l’exemple des écoles islamiques sous contrat, il y en a deux en France : à Lille et à Lyon. Il y a eu plusieurs tentatives de développer les écoles islamiques, mais un blocage politique au niveau du ministère de l’Education nationale l’empêche. Là encore, il faudrait être vraiment neutre. On a fait le choix de garder des écoles religieuses, il faut donc appliquer ce principe de manière équitable à toutes les religions. […]
A propos de la loi sur l’interdiction de la burqa, vous laissez penser que c’est une atteinte à la liberté religieuse ?
L’Assemblée nationale a proscrit le port de la burqa, en dépit de l’avis négatif du Conseil d’Etat, qui soulignait que cette loi violerait les droits constitutionnels et conventionnels de la liberté religieuse. Elle a sollicité le Conseil constitutionnel pour que celui-ci trouve un moyen d’en assurer la constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel a ainsi inventé de toutes pièces un nouveau principe de la vie commune : la réciprocité. Pour avoir de la réciprocité, il faut pouvoir se voir. Mais si on part de ce principe, il faut interdire le port des lunettes de soleil parce c’est avec les yeux qu’on communique.