[…] À toutes les étapes des aventures des immigrés clandestins, le portable est un outil précieux. Et c’est évidemment encore mieux s’il s’agit d’un smartphone avec accès internet. Car leur voyage vers l’Europe est semé d’embûches. Les migrants sont nombreux à rassurer leur entourage, resté au pays, par le biais de courts messages ou de photos postées sur les réseaux sociaux.
Le téléphone se révèle utile dès leur départ du pays. Il permet aux migrants de fixer des rendez-vous avec leurs passeurs ou de trouver leur chemin. Assis dans la cour de l’ancien lycée squatté, Aziz raconte comment son bateau a finalement réussi à atteindre les côtes italiennes. “Certaines personnes utilisaient le GPS installé sur leur portable pour se repérer en mer“, explique ce Soudanais arrivé en France il y a une vingtaine de jours.[…]
Une fois débarqué sur les côtes européennes, le dépaysement est total pour les migrants. Difficile de se repérer dans les rues d’une ville que l’on découvre à peine. “Quand je suis arrivé en Italie, je ne connaissais rien, ni personne. Grâce à Google Maps, j’ai pu trouver un supermarché pas loin pour acheter de la nourriture“, se souvient Ahmed Salem. Mais bien souvent, l’application de géolocalisation ne suffit pas. “Parfois, j’appelais mes amis, qui avaient déjà fait le voyage, pour qu’ils me donnent la bonne direction.”
Veste noire sur les épaules, Afchin essaye d’entamer une conversation en français. Mais la barrière de la langue freine encore son enthousiasme, six mois après son arrivée en France. Après un bref moment de panique, le jeune Afghan plonge son regard dans son smartphone et lance Google Traduction. Il prononce quelques mots dans sa langue maternelle avant de tendre l’appareil sur lequel apparaît une interprétation approximative de ses propos. Mais l’essentiel est là : Afchin a réussi à se faire comprendre.
Les téléphones sont de véritables couteaux suisses pour ces migrants démunis. Ils leur permettent même de raconter leur histoire aux internautes. C’est ce qu’a fait Youssif, avec le soutien de traducteurs bénévoles. Sur son blog Le Voyage de la mort, il retrace son parcours plein de souffrance. Un témoignage fort qu’il dédie “à tous les gens qui ne sont pas arrivés jusqu’en Europe, ceux qui sont morts en route”.
Une fois les frontières de l’Europe franchies, les migrants adoptent le système D pour capter du réseau. Quelques-uns trouvent des identifiants d’accès au wifi gratuit, comme Ahmed Salem, qui souhaite contacter ses proches dispersés aux quatre coins du monde. Certains vivent à Londres, en Allemagne, et même aux États-Unis. Des amitiés qui survivent grâce à internet. Dès qu’il le peut, le jeune homme se connecte pour échanger avec eux.
Sous le préau de l’ancien lycée, l’Erythréen de 32 ans explique utiliser son téléphone pour dissuader ses amis de traverser la Méditerranée. “Je me connecte parfois sur Facebook, Viber ou WhatsApp pour avoir des nouvelles de mes proches. Je leur envoie des photos pour qu’ils aient conscience que passer par la mer est extrêmement dangereux. Si je leur explique mes conditions de vie, ils vont peut-être renoncer à venir, espère celui qui compte apprendre le français et trouver un travail. Ma vie est ici maintenant”.
L’utilisation du téléphone dépend beaucoup de l’argent dont disposent les migrants. Ils n’ont pas tous les moyens de s’offrir un portable avec une connexion internet. […]
Sans nouvelles de leurs proches, les migrants peinent à garder le moral. Pour Mekal, le temps s’est comme arrêté. Il n’a pas réussi à contacter sa famille depuis son départ d’Erythrée. “C’est difficile, j’imagine le pire. Je ne sais pas si ma famille est encore en vie.” L’homme craint le régime de son pays, qui “surveille et contrôle tout”. De temps en temps, Mekal consulte YouTube pour regarder des vidéos de la chaîne de télévision de son pays d’origine.
En cas d’urgence et de grande détresse, le comité de soutien des migrants peut décider de prêter des cartes téléphoniques. “Une fois, un migrant n’avait plus de crédit au moment où il a appris que sa famille était à l’hôpital. On lui a trouvé un moyen de contacter ses proches“, raconte Gabriel Dumas-Delage. Le téléphone portable est souvent la dernière chose qui leur permet de garder la main sur un quotidien angoissant.