Pour François Gemenne, spécialiste des flux migratoires (Université de Liège et à Sciences-Po Paris) l’UE aurait intérêt, à plusieurs titres, à se montrer plus généreuse.
L’Europe devrait s’enorgueillir d’être la destination préférée des migrants.
La question migratoire est-elle la principale préoccupation des Européens ?
Elle l’est pour 44 % d’entre eux, selon l’Eurobaromètre, devant le chômage et même le terrorisme. Et c’est celle qui pose les plus grands défis au projet européen car elle souligne l’absence de coopération et met en faillite l’idéal européen.
La couverture médiatique joue-t-elle un rôle dans cette perception ?
Les médias ont une responsabilité immense, notamment ceux qui renforcent le décalage entre la réalité empirique du phénomène et le récit qui en est fait. Certains dictent même leur politique migratoire au gouvernement, comme le Sun ou le Daily Mail en Grande-Bretagne, et n’hésitent pas à relayer des propos à la limite de la provocation à la haine raciale, en laissant des commentaires non modérés sur leurs sites. La responsabilité tient aussi à l’effet de loupe et au vocabulaire utilisé. Quand on parle de «crise», de «vagues», cela contribue à entretenir la confusion entre demandeurs d’asile, immigration économique, clandestine ou légale. Mélanger ces parcours, ces histoires, ces destins est révoltant. Des responsables politiques n’hésitent plus à pratiquer la xénophobie d’Etat, comme David Cameron, qui parle de «nuée». Utiliserait-il le même vocabulaire si ces gens étaient des Européens ?
Assiste-t-on à des flux migratoires jamais vus en Europe ?
Non, en dépit de la crise syrienne et érythréenne, on reste sur des chiffres comparables à ceux de la guerre liée à l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90. […]
Faut-il ouvrir des couloirs d’immigration légaux avec un système de quotas ?
Oui, pour trois raisons. Un, parce que l’UE en a besoin pour son dynamisme social et économique. Deux, parce que c’est la meilleure manière de lutter contre les passeurs et d’éviter les morts en Méditerranée. Trois, parce que l’UE a une obligation morale – comme continent prospère, de paix et de sécurité – de permettre à d’autres qui n’ont pas eu cette chance de s’y installer. L’UE ne peut accepter que le destin des uns et des autres soit uniquement déterminé par le fait qu’ils sont nés sur la rive nord ou sud de la Méditerranée.