Extraits d’une tribune de Guy Sorman, essayiste, sur l’accueil des clandestins en Europe, publiée dans le Monde .
L’intégration culturelle serait impensable n’est-ce pas ? L’objection paraît subtile mais suppose bizarrement que l’Europe soit culturellement, ethniquement, religieusement un pur joyau sans tache. L’Europe, en vérité, est une accumulation métisse, un creuset de cultures qui toutes ensemble font la civilisation européenne.
Le seul chef de gouvernement occidental qui prend actuellement la mesure réelle du drame et propose des solutions humanitaires à la mesure de ce drame est Angela Merkel. Allemande, elle sait, elle ne se réfugie pas dans des arguties juridiques ou économiques. Elle sait qu’Ahmed, c’est Nathan, soixante-quinze ans plus tard.
« Les réfugiés d’aujourd’hui me rappellent mon père fuyant le nazisme »
Il est parfois nécessaire de comparer ce qui n’est pas comparable. Ne serait-ce que pour éveiller les consciences anesthésiées. Entre 1933 et 1940, plusieurs millions de réfugiés échappés d’Allemagne, de Pologne, des pays baltes, fuyant le nazisme, se heurtèrent à des frontières fermées. […]
Venons-en à ce qui n’a aucun rapport avec ce qui précède : la fuite, par millions, des réfugiés de Syrie, d’Irak et d’Erythrée. Sans rapport parce que Latifa, Ali et Ahmed ne sont pas massacrés avec la même efficacité industrielle que le furent Samuel, Nathan et Rachel ? […]
Les objections d’apparence rationnelles, on les connaît : ces gens-là qui ne sont pas européens ne sauraient s’assimiler et l’économie ne pourrait pas les absorber. Mais ce qui a l’air vrai est faux. Ces «réfugiés», acceptés en Europe, y apporteraient leur éducation et leur force de travail : pour la plupart ils sont jeunes et entreprenants comme en témoigne leur exil. La migration est une sélection tragique qui privilégie les forts contre les faibles. Les Etats-Unis se sont toujours développés plus vite que l’Europe grâce au dynamisme qu’y apportent les migrants. Tandis que l’Europe décline à mesure qu’elle vieillit. […]