Le gouvernement fédéral allemand met 6 milliards d’euros sur la table pour l’accueil des réfugiés. La chancelière a plusieurs raisons de se montrer généreuse.
(…) Par ailleurs, l’occasion était trop belle pour la chancelière de redorer le blason de son pays. L’Allemagne apparaît désormais comme un modèle d’ouverture, de générosité et de solidarité. C’est un changement total d’image par rapport à l’image d’égoïsme et de dureté qu’elle avait pu acquérir dans la crise grecque. C’est aussi l’occasion pour Angela Merkel de faire oublier l’indifférence complète qui a prévalu – et qui prévaut encore largement – concernant la gestion de la crise migratoire par les deux principaux pays frontaliers, l’Italie et la Grèce. C’est aussi une manière de faire oublier que l’Allemagne ne participe pas aux actions militaires sur le terrain et a toujours refusé d’y participer. Au final, il ne restera que cette image de l’accueil enthousiaste des réfugiés à Munich, tranchant singulièrement avec les violences hongroises, les hésitations françaises et l’hostilité britannique. Lundi 7 septembre, Angela Merkel a affirmé que « ceux qui ont aidé ont transmis une image de l’Allemagne dont nous pouvons être fiers. » Là encore, l’Allemagne, en gagnant la bataille de la communication, est en position de force pour imposer sa solution dans les mois qui viennent. Du reste, ce changement d’image peut également jouer de tout son poids dans d’autres négociations, notamment celle de la réforme de la zone euro.
Considérations économiques
A ces considérations politiques s’est ajouté, évidemment un élément économique. La situation démographique allemande est alarmante et le pays a besoin d’habitants. On voit que la reprise de la consommation allemande, si elle est réelle, demeure faible au regard de la situation de l’emploi et des augmentations de salaires consenties. L’Allemagne a clairement besoin d’un apport massif de population jeune et prompte à consommer. Ces 800.000 migrants sont donc une bénédiction pour l’économie allemande. D’autant que 46 % des employeurs allemands ont des difficultés à recruter.
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Numéro d’équilibriste avec la droite
Mais il convient de ne pas oublier l’ambiguïté de la situation d’Angela Merkel. Fondamentalement, depuis 2005, la chancelière mène une politique d’équilibriste en recentrant la CDU, son parti, tout en maintenant dans son giron l’aile la plus conservatrice de la droite allemande. Toute la politique européenne de l’Allemagne traduit ce jeu subtil qui a été, un temps, exacerbé par l’émergence d’Alternative für Deutschland (AfD), parti ouvertement eurosceptique. Ce numéro se poursuit. D’un côté, la chancelière a pu, en prenant le train de l’opinion, désamorcer une critique virulente de la droite, au risque pour cette dernière de se retrouver confondue avec les violences nationalistes. AfD, qui, en juin, a durci son discours sur l’immigration, sera sans doute la première victime de la situation actuelle. Depuis fin août, le parti est donné à 3 % des intentions de vote, contre 5 % avant l’été.
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La nécessité de la solution européenne
Angela Merkel, qui avait prévenu que l’ouverture des frontières était « une mesure temporaire », doit donc trouver rapidement une solution européenne à la crise. On comprend qu’elle ait plaidé tout au long de la semaine dernière pour « une répartition européenne » des migrants. En réalité, il n’est pas certain que la chancelière puisse, une fois l’enthousiasme des premiers jours retombé et les critiques de sa droite relancées, maintenir sa politique actuelle d’ouverture. Il lui faut donc rapidement utiliser sa position de force acquise ces derniers jours pour imposer des « quotas » à l’ensemble des pays membres de l’UE. Paradoxalement, les principaux obstacles à cette politique devraient être les pays d’Europe centrale, traditionnellement les principaux alliés de Berlin, comme on l’a vu encore dernièrement dans la crise grecque.