Alors que le gouvernement a promis d’accueillir 24000 réfugiés syriens et irakiens, les autres migrants ayant fui la guerre se sentent délaissés. Reportage à Austerlitz.
Torse nu, assis sur une chaise en plastique blanc, Alfarah ne quitte pas du regard le petit miroir qu’il tient dans les mains. Celui-ci lui réfléchit la coupe de cheveux qu’Omar, un Soudanais, s’improvise à lui faire, muni de ciseaux et d’une lame de rasoir. Si Alfarah tient tellement à se faire une beauté, c’est qu’il a rendez-vous le lendemain pour effectuer une demande d’asile. Le Libyen de 32 ans, arrivé à Paris il y a quatre jours, entend bien mettre en confiance les fonctionnaires français. Pas sûr que cela suffise. Originaire de Tripoli, il n’est pas certain de bénéficier de l’asile politique que François Hollande a promis à quelque 24 000 réfugiés syriens et irakiens.
Mais l’asile, il ne semble plus y croire: “l’asile, regarde l’asile…”, dit-il, en désignant la centaine de tentes qui s’alignent dans la saleté et l’odeur d’urine sous le pont Charles-de-Gaulle. “Il y a des gens qui sont là depuis trois ou quatre mois mais il n’y a plus de places pour eux…” (…)
Dans ce contexte, l’accueil par les autorités françaises de réfugiés syriens et irakiens dans la foulée de la mort du petit Aylan passe mal.
Notamment chez les Soudanais qui forment le gros du contingent du squat d’Austerlitz. La plupart d’entre eux ont fui le Darfour et ne comprennent pas que leur sort désintéresse l’opinion. Mohyiddin, 25 ans, origine de cette région endeuillée du Soudan, a quitté Benghazi pour la France il y a moins de trois mois. “Entre 2003 et 2014, trois millions de personnes ont été tuées au Darfour. Mais aucun média n’en parle.” Lui a vécu pendant 10 ans dans un camp de réfugiés avec sa famille. “L’Unicef et la Croix Rouge viennent nous aider là-bas mais personne ne nous ramène ici”, déplore-t-il, en référence aux Syriens et Irakiens convoyés en bus depuis l’Allemagne pour la France.
(…) Derrière lui, Sarah, une infirmière libérale des Hauts-de-Seine, apporte des vêtements et des sacs entiers de victuailles. “A Cergy [où sont arrivés les premiers réfugiés syriens et irakiens], ils ont un toit, ils ont des plateaux repas… Mais, ici, qu’est-ce qu’il se passe pour eux?” La mairie de Paris, qui organise au même moment un raout sur les réfugiés sous les dorures de l’Hôtel de Ville, assure que l’ensemble des squatteurs d’Austerlitz, SDF compris, bénéficieront d’une solution d’hébergement d’un mois en cas d’expulsion. Une procédure sur laquelle doit se prononcer le tribunal administratif le 11 septembre. La mairie dit s’engager ensuite à trouver une solution de relogement pour l’ensemble des demandeurs d’asile qui auront entrepris des démarches auprès des autorités administratives.
“La question de la concurrence de l’accueil des publics se posera, nous serons vigilants”, glisse une source proche du dossier. Façon de dire qu’il n’y aura pas forcément de la place pour tous les sans-abris cet hiver.
Et si les annonces de François Hollande sur l’accueil de nouveaux réfugiés font sourire les fonctionnaires, tant Paris compte déjà de nombreux demandeurs d’asile, la “mobilisation populaire nous aide”. “Ça éveille les consciences, reste à voir ce que l’on pourra en faire…”