Nicolas Truong, journaliste au Monde, chef du service idées-Débats, s’interroge sur l’éventuelle “dérive” de certains intellectuels.
Gageons que les véritables intellectuels, même pris dans le tourbillon d’une polémique médiatique, auront suffisamment de recul pour ne pas tomber dans le piège de la surenchère. Car l’époque est suffisamment troublée pour ne pas réduire la pensée au slogan.
La scène des idées n’en finit plus de basculer. Et le bocal intellectuel national de patauger dans des polémiques dont il détient le secret. Formulant des doutes sur la véracité de la photo d’Aylan, l’enfant kurde échoué sur une plage de Bodrum, en Turquie, voici que le philosophe libertaire Michel Onfray évoque, dans les colonnes du Figaro du 11 septembre, ces questions qui sont «devenues impossibles à poser». L’accueil des réfugiés, la dangerosité de l’islam ou la défense du peuple français font partie, on le devine, de ces sujets d’après lui occultés. Et voici Michel Onfray accusé, principalement par Libération (15 septembre), de «faire le jeu du FN». […]
Pour l’historien des idées François Cusset, ce nouvel épisode est le signe d’une « surenchère nauséabonde » de fast thinker condamnés, pour exister, à la « dérive droitière décomplexée ». Et d’appeler les intellectuels critiques à « ne pas laisser le monopole de la diatribe aux clercs les plus cocardiers ». […]
Face à cette déferlante, la posture victimaire des essayistes surmédiatisés tout comme la reductio ad hitlerum des moralistes indignés semblent en retard d’une guerre. Les premiers continuent de jouer les martyrs alors qu’ils font la couverture de tous les hebdos. Or, le disque est rayé et le subterfuge largement éventé. Sans compter le risque de lasser leurs aficionados qui ne sont pas des gogos. A force d’invoquer le retour des années 1930, de ne pas traiter avec le même soin les questions sociétales et les affaires sociales, les seconds passent parfois, aux yeux de l’opinion, pour d’irresponsables bobos.