Un sondage montre que les 18-24 ans sont les catégories d’âge qui se disent le plus à droite. Vincent Tournier analyse les raisons de ce basculement historique. Vincent Tournier est enseignant-chercheur en science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Il est spécialiste des questions liées à la jeunesse et à la politique.
Mais l’immigration de masse des années 60-70, ainsi que les ratés de l’intégration, provoquent aujourd’hui un choc culturel: les Français sont confrontés à une population qui s’avère très traditionnaliste, bien plus que les catholiques d’autrefois.
Les 18-24 ans et les plus de 65 ans sont les catégories d’âge qui se disent le plus à droite, selon un sondage Elabe pour Atlantico publié mercredi. Que cela vous inspire-t-il?
Pour les plus de 65 ans, ce n’est pas très surprenant. On sait depuis longtemps que la propension à se classer à droite augmente avec l’âge, ce qui s’explique notamment par l’importance du patrimoine et de la religion dans les anciennes générations.
Le résultat le plus étonnant concerne les jeunes puisque, en général, c’est chez eux que la gauche obtient ses meilleurs scores. […] Si la tendance se confirme, ce qui n’est pas exclu, on pourra alors en déduire que l’on assiste bel et bien à une modification profonde du contexte sociopolitique. […]
En général, les jeunes mettent leur goût de l’action au service des mouvements de gauche car celle-ci bénéficie d’une légitimité idéologique supérieure, mais ils peuvent aussi la mettre au service de la droite. Rappelons que, en 1973, le gouvernement a dissout simultanément la Ligue communiste et Ordre Nouveau après que ceux-ci se sont physiquement affrontés. […]
Comment expliquez-vous ce basculement. Cela traduit-il un mouvement général de droitisation de la société ou le phénomène est-il spécifique à la jeunesse ?
Il est effectivement devenu courant de parler d’une «droitisation» de la société, mais les évolutions semblent plus complexes. Si on prend par exemple le domaine des mœurs, notamment l’égalité hommes-femmes et l’homosexualité, il serait plus juste de parler d’une «gauchisation». En revanche, il est vrai que l’opinion s’est durcie ces dernières années sur l’immigration et la sécurité. On a même vu remonter le soutien à la peine de mort. […]
Ces différentes évolutions ne sont pas forcément contradictoires. Les Français sont devenus très libéraux sur le plan des mœurs ; ils sont même parmi les plus libéraux d’Europe.
Dans ce contexte, le FN s’en sort particulièrement bien. Il est vrai qu’il propose un discours sur l’immigration et l’islam qui paraît plus en phase avec la réalité. Il a aussi le mérite de s’inscrire désormais dans le prolongement des grandes valeurs républicaines comme la laïcité. A contrario, les partis de gouvernement s’embourbent dans des contradictions majeures, comme l’a récemment révélé le Salon des musulmans à Pontoise, ville tenue par la droite, qui donne du crédit au soupçon de clientélisme électoral dénoncé par l’élue socialiste Céline Pina.
La crise migratoire sert d’autant mieux le Front national que cette crise active une angoisse inconsciente qui travaille les sociétés occidentales engagées dans la mondialisation: celle de voir le monde livré au chaos d’un ensauvagement généralisé.
Des questions que l’on croyait définitivement réglées, comme l’accès des femmes à l’espace public ou la liberté sexuelle et conjugale, reviennent en force. Du coup, les clivages se brouillent. La critique de l’islam et de l’immigration, qui était autrefois l’apanage des Français conservateurs, gagne les milieux libéraux. Le FN new style a su percevoir cette évolution et adapter son discours en conséquence. C’est pourquoi il est désormais rejoint par des militants de la cause homosexuelle, et gagne même une certaine sympathie dans les milieux juifs inquiets devant la hausse de l’antisémitisme. […]