Les puissants flux migratoires des dernières années modifient en profondeur le visage de la population suisse. Chez les plus jeunes, les enfants de l’immigration sont déjà majoritaires.
Le chiffre est passé presque inaperçu jusqu’à présent. Il s’agit pourtant d’une petite bombe, lâchée par l’Office fédéral de la statistique dans un obscur communiqué, en décembre 2013. Chez les enfants de 0 à 6 ans, les Suisses «de souche» sont désormais minoritaires.
Aujourd’hui, 53,6% des plus jeunes habitants du pays naissent de couples issus de la migration, ou de couples mixtes (une personne ayant des racines étrangères, l’autre pas). Par «issu de la migration», on désigne essentiellement les étrangers de première et deuxième générations établis en Suisse, ainsi que les naturalisés.
D’autres indicateurs confirment ce phénomène, qui semble donner corps à un vieux cauchemar de l’extrême droite, le «grand remplacement» d’un peuple par les immigrés. Dans les naissances, la proportion de bébés non issus de la migration est devenue minoritaire dès 2013. La proportion de Suisses sans racines migratoires récentes dans la population totale a baissé de 70,4% en 2003 à 64,4% en 2013. Et lorsqu’on examine les chiffres au niveau local, la montée en puissance des habitants d’origine étrangère apparaît encore plus nettement.
Ainsi, dans le canton de Vaud, chez les enfants de 0 à 14 ans, les jeunes issus de la migration sont nettement majoritaires: ils étaient près de 70.000, pour environ 48.000 Suisses «de souche», selon les estimations fournies au Temps par Statistique Vaud pour la période 2011-2013.
A Malley, dans l’Ouest lausannois, la proportion d’élèves étrangers dans les écoles peut atteindre 80%, constatait en 2009 déjà le géographe Pierre Dessemontet. Au gymnase de Burier, près de Vevey, une classe typique de 15 adolescents ne comprend que cinq noms clairement suisses. Le reste des élèves est totalement ou partiellement originaire du Japon, d’Afrique du Sud, du Portugal, du Chili, du Congo…
«Pour moi, c’est plutôt surprenant d’avoir des Suisses dans ma classe, confie un élève de Burier, lui-même Sud-Américain d’origine. Et ça a toujours été comme ça depuis que je suis à l’école.»
Cet afflux migratoire remodèle la société suisse. La moitié des mariages sont désormais conclus entre des conjoints suisses et étrangers, ou entre deux étrangers. […]
Le plus remarquable est que tous ces phénomènes semblent se produire au même moment. Comme si un point de basculement venait d’être atteint. «Ces mouvements ont été renforcés par les forts flux migratoires qu’on observe en Suisse depuis 2010», note Stéphane Cotter, chef de la section démographie et population à l’OFS.
Dans cent ans, si l’immigration se poursuit à un rythme soutenu et que les étrangers continuent à s’établir en Suisse, «on aura plus de 50 à 55% de gens issus de la migration dans la population générale, prédit le démographe genevois Philippe Wanner. Ce sera 70% chez les 0-6 ans, dans une Suisse de 12 millions d’habitants à peu près.»
Cet impact de la migration sur la population est à peu près unique en Europe. Selon Eurostat, seuls le Luxembourg et le Liechtenstein ont une proportion de population née à l’étranger plus importante que la Suisse (43% et 63% respectivement, contre 26,8% ici). […]
Chez les jeunes, l’influence migratoire est beaucoup plus marquée. Comme chez les juniors de l’équipe de football: «D’après moi, on est à 60% de gens d’origine immigrée chez les joueurs», estime Charles Gaudin, ancien secrétaire du FC Cossonay, considéré comme la mémoire vivante du club. […] C’est à l’école que le défi de l’absorption est le plus grand. Depuis 2012, les effectifs des classes primaires ont augmenté rapidement, passant de 890 à 1035 élèves. «Ça pose un problème de locaux, de manque de place, constatent les directeurs des écoles de Cossonay et environs, Frédéric Batori et Pierre Déjardin. On n’a plus aucun local de libre. Les autorités ont dû construire trois containers provisoires, en attendant bientôt, on espère, des bâtiments en dur pour au minimum huit classes, soit 160 élèves.»
Phénomène nouveau, un nombre croissant d’enfants arrive sans parler un mot de français.[…]
Chaque année, lors des promotions, le doyen des écoles lit à haute voix les noms des élèves nouvellement diplômés. L’exercice peut se révéler délicat lorsqu’il s’agit de féliciter des Lljabani, Jakaj, Labbé Ahumada… «C’est là qu’on se rend compte des consonances, qu’on n’est plus avec des noms courants d’ici», disent les deux directeurs.[…]
(Merci au vieux Frère)