Matthieu Chaigne analyse la progression du Front national chez les jeunes et estime que celle-ci «constitue probablement la plus grande bombe à retardement des prochaines décennies».
Matthieu Chaigne est le co-fondateur de Délits d’Opinion, observatoire de l’opinion publique et des sondages et directeur conseil chez Taddeo.
A grand renfort médiatique, le Front National a ouvert, en cette rentrée 2015, une antenne à Sciences Po. Un coup de communication? Oui, bien sûr, qui témoigne de l’imprégnation des idées frontistes au sein d’une population jusqu’à présent totalement hermétique aux théories d’un parti d’extrême-droite qui lui rendait bien.
Mais en réalité, cette annonce ne résume que très partiellement la lame de fond politique en passe de remodeler profondément le paysage politique des prochaines décennies: celle d’une jeunesse sur le point de basculer dans les bras du FN.
Il est loin le printemps 2002, quand la jeunesse de France battait le pavé pour s’opposer au Front national.
Le tournant remonte à 2014: aux élections européennes, le FN devient officiellement le premier parti des moins de 35 ans, auprès de qui il réalise 30% selon les données d’ IPSOS. La tendance va probablement s’amplifier aux prochaines élections régionales où des scores entre 30% à 35% sont attendus. Plus impressionnant encore, dans certaines régions, le FN tutoie les 50% auprès des moins de 35 ans. C’est le cas dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie et dans une moindre mesure en Languedoc Roussillon. […]
Chez ces jeunes frontistes, la mobilisation est mue par la conviction que le FN peut changer les choses. Ainsi, 43% jugent que le programme FN peut améliorer la situation de la France contre 26% des électeurs FN toutes tranches d’âges confondues. Chez ces jeunes, le vote sanction n’est plus qu’un levier mineur. Leur vote est à la fois adhésion et transgression. […]
Pour contrer cette lame de fond idéologique, les partis traditionnels devront éviter deux écueils: la vision moralisatrice d’une part l’approche gestionnaire d’autre part. Car ni l’une ni l’autre ne seront en capacité de concurrencer la «FNisation» des jeunes esprits, qui constitue probablement la plus grande bombe à retardement des prochaines décennies.