L’essor du Front national dans les zones rurales pourrait contrarier les espoirs de conquête de la droite. Enquête du Monde en Normandie.
Le score du FN dans le monde rural déterminera en grande partie l’issue des régionales des 6 et 13 décembre.
Cela fait vingt ans qu’il votait à droite. Invariablement. Ce temps est révolu. Profondément déçu par Nicolas Sarkozy puis François Hollande, Yanic Bodin se tourne aujourd’hui – par dépit – vers Marine Le Pen. Cet agriculteur de 39 ans, qui possède 70 vaches laitières à Juilley, un village de quelque 600 habitants situé dans le sud de la Manche, se dit « écœuré » et « en profonde détresse », car il n’arrive plus à vivre de son travail. […]
Président de la Coordination rurale de la Manche, un syndicat agricole officiellement apolitique mais classé à droite, Yanic Bodin dit ne pas être le seul à se résigner à « un vote de colère » pour alerter les pouvoirs publics. «Plusieurs agriculteurs du coin votent désormais FN, car c’est le seul parti qui nous écoute et défend des structures de production familiales. Les autres, qui ne jurent que par l’ultralibéralisme et l’agriculture intensive, sont en train d’éradiquer les petits paysans comme nous.» […]
Même s’il ne représente qu’une frange des agriculteurs du département, le basculement de ce fils d’agriculteur au FN illustre la forte progression du parti d’extrême droite dans les zones rurales en Basse-Normandie. Le phénomène, récent, a pris de l’ampleur à partir des cantonales de 2011. […]
«Le FN est parvenu à pénétrer les périphéries des agglomérations et les campagnes, en ciblant essentiellement les ouvriers agricoles et les employés. Marine Le Pen a réussi à capter des voix au sein de la droite sarkozyste, de la droite souverainiste et des chasseurs», observe Cyril Crespin, politologue chargé de cours à l’université de Caen, auteur d’une thèse consacrée au FN en Normandie de 1972 à 2012. […]
«Dans ces zones rurales, où les services publics disparaissent un à un, le discours du FN répond au sentiment de précarité et de vulnérabilité éprouvé par les paysans, les petits commerçants, les artisans et la classe moyenne inférieure, qui s’estiment délaissés et abandonnés par l’Etat», analyse le sociologue Frédérick Lemarchand, maître de conférences à l’université de Caen. «Ces gens ne se sentent pas exclus mais le sont de fait», complète le sociologue Yves Dupont, spécialiste de la Normandie, qui s’alarme de la paupérisation croissante des campagnes et du surendettement des agriculteurs. […]