Dans un essai polémique, “Situation de la France”, le philosophe prône une meilleure reconnaissance des pratiques liées à l’islam tout en demandant aux musulmans de renoncer à des positions «défensives» et «communautaires».
Philosophe libéral catholique, disciple de Raymond Aron, il tend la main aux musulmans, ce que des ténors de gauche ne feraient pas au nom de la laïcité. Mais le fait-il vraiment ? Oui, mais si, et seulement si, les musulmans acceptent de passer un contrat social avec la nation, tout en rompant définitivement leurs liens politiques, économiques, financiers et culturels avec des pays islamiques perçus comme «dangereux» et «inquiétants».
Je suggère alors que l’on soit moins vétilleux, moins en garde, par exemple contre leurs pratiques alimentaires, afin que les musulmans soient plus confiants dans la société où ils se trouvent maintenant, que soit facilité leur engagement dans l’aventure française, et que leur avenir soit du côté de l’appartenance à cette nation européenne qu’est la France.
De vaillant essayiste, Pierre Manent défend, en fait, une bonne thèse de catholique de droite : le salut de la France passerait, selon lui, par un sursaut national et chrétien…
Vous partez du constat d’une scission entre Européens et musulmans, entre «eux» et «nous». Pourquoi appréhender l’islam comme un «problème» ?
Parce que c’en est un ! La première face du problème, c’est la méfiance réciproque. Méfiance des non-musulmans à l’égard des musulmans, et méfiance des musulmans à l’égard du reste de la société. Les musulmans ont tendance à rester sur leur quant-à-soi, gardant une position purement défensive et n’intervenant dans l’espace public que pour leurs affaires propres. Et pour se plaindre de l’«islamophobie». Du côté des non-musulmans, on ne sait parler que le langage de la laïcité. Les uns et les autres, nous sommes confrontés à la limite de la disposition collective dans laquelle nous sommes respectivement engagés.
Vous vous représentez les musulmans comme extérieurs à la société. Mais ce qui reste en silence dans ce livre, c’est toute cette vie commune qui existe malgré tout.
Précisément, il n’y a pas tellement de vie commune. On observe une extension et une consolidation d’îlots de sociabilité distincts. Certains quartiers, certaines communes, notamment dans le sud de la France, sont devenus parfaitement homogènes : boucheries exclusivement halal, présence dans la rue presque exclusivement masculine…
Bien sûr, les musulmans étant très nombreux en France, les parcours varient énormément. Un nombre indéterminé d’entre eux est entré franchement dans la vie nationale. Je crois cependant que la cristallisation communautaire se confirme plutôt qu’elle ne tend à disparaître. […]