La journaliste et philosophe Alexandra Laignel-Lavastine, qui habite en Seine-Saint-Denis, a interrogé les jeunes de son quartier dès le matin du 14 novembre. Si leurs propos ne reflètent pas l’opinion majoritaire dans ce département, ils traduisent une réalité dérangeante.
[…] Première surprise: rien n’y laisse deviner qu’une tragédie vient de frapper le pays. […] mais personne ne semble concerné. […] les gens parlent de tout et de rien, mais surtout pas de ce qui vient de se passer.C’est biz as usual: circulez, y’a rien à voir. Je m’attable avec Malik* en train de boire son café, le visage fermé. Je lui dit qu’il a une mine fatiguée et qu’il y a de quoi après les massacres horribles des dernières heures. «Pourquoi horribles?», me lance-t-il d’un air hostile, «tu crois quand même pas ce qu’ils nous racontent!». […] «Un communiqué, ça se fabrique, c’est comme les images: tout est bidon». Et comme un musulman ne peut donc être un meurtrier, il faut bien que «y’ai un truc derrière tout ça». […]
Entre temps, les copains de Malik sont arrivés et ils se mêlent à la conversation. Nidal, passablement agressif, renchérit: «La vérité, de toute façon, on l’a connaît: c’est un complot contre nous et contre l’islam, comme avec Merah et le reste». Le reste? Un autre m’éclaire de façon assez prévisible en m’expliquant que les chambres à gaz seraient une «invention sioniste», le 11-Septembre un complot du Mossad et le massacre de Charlie-Hebdo un coup monté de la DCRI. «Tu vois, les Kouachi. J’ai un copain qui les connaissait bien. Il m’a dit que le deuxième frère était mort en 2009. C’est pas une preuve, ça? Le but, c’est de salir les musulmans».
[…] «Tu déconnes!», s’énerve Réda qui prend à son tour la parole avec véhémence: «T’sé quoi Madame, avec tout mon respect: les gros salauds, les barbares, les criminels qu’faudrait régler à la kalach, c’est les Juifs! Mais ça, tu pourras pas l’écrire dans ton journal vu qu’ils contrôlent tout». […]De toute façon, «ils sont tous islamophobes, faut arrêter de nous stigmatiser», conclut un autre. […]
Merci à Asimov