Renseignement, prison, immigration, identité, islam… Alain Juppé détaille dans le JDD ses positions exprimées dans son nouveau livre-programme, Pour un Etat fort.
(…)
Vous avez toujours été hostile au thème de l’immigration zéro mais vous dites que la France n’a plus aujourd’hui “ni les moyens ni la volonté” d’accueillir toute l’immigration “qui se presse à ses frontières”. Tout cela n’est-il pas théorique quand ceux qui sont en situation irrégulière ne sont quasiment jamais expulsés?
L’immigration zéro, ça n’a aucun sens. Même Charles Pasqua était contre! Ça veut dire quoi? Qu’on n’accueille plus aucun étudiant? Sur les 200.000 nouveaux arrivants chaque année, 30% sont des étudiants. En revanche, il faut avoir une politique de contrôle des flux migratoires. On ne peut pas se laisser déborder par des phénomènes non maîtrisés. Il faut lutter avec beaucoup de vigueur contre l’immigration illégale, ce qui pose en grande partie le problème de la coopération européenne et de Frontex. Je propose notamment de remplacer Frontex par une véritable police européenne des frontières dotée de réels pouvoirs. Comment voulez-vous que Frontex contrôle les frontières alors qu’ils n’ont même pas accès aux fichiers nationaux d’immatriculation des véhicules? Concernant l’immigration légale, je propose un système qui existe au Canada : un vote annuel par le Parlement de quotas d’immigration et un système par points permettant de qualifier les entrants. Sur le plan économique, nous avons parfois besoin de nouveaux arrivants dans certains secteurs où il y a pénurie de travailleurs français. L’immigration au Canada, ce sont souvent des jeunes diplômés, ce qui n’est pas le cas chez nous. Je veux inverser la tendance. Quant à l’immigration familiale, je propose d’en durcir les conditions : pour accueillir sa famille, il faudra avoir les revenus nécessaires, mais des revenus du travail et non une allocation chômage. Par ailleurs, le Contrat d’accueil et d’intégration prévoit déjà qu’il faut acquérir un certain nombre de connaissances, sur la République ou la maîtrise de la langue, mais personne ne vérifie que les tests ont été passés. Il faut que ce soit le cas.
Comment faites-vous pour que les déboutés du droit d’asile soient effectivement reconduits?
Il faut reprendre une politique de réadmission dans les pays d’origine. Aujourd’hui, c’est le désastre absolu. Le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est de moins de 20%. Cela veut dire que 80% des déboutés restent! Et à cause de la circulaire Valls de 2012, au bout de cinq années, ils peuvent être régularisés. Relancer la politique de réadmission, c’est très difficile, je le reconnais. Mais il faut négocier des accords efficaces avec les pays d’origine : le Kosovo, l’Albanie, le Monténégro, les pays africains, quitte à conditionner notre aide. L’Espagne l’a fait avec un certain succès avec le Sénégal. Actuellement, des préfets me disent qu’ils ne prennent même plus d’OQTF parce qu’ils savent qu’elle ne sera pas exécutée. N’abdiquons pas!
“Certains proposent de supprimer purement et simplement l’AME. Ce n’est pas ma thèse”
Vous préconisez aussi “d’autoriser le placement des familles en rétention administrative”, c’est-à-dire y compris des enfants…
Refuser les centres de rétention pour les familles déboutées du droit d’asile, c’est accepter que ces familles disparaissent dans la nature. C’est donc refuser de les reconduire à la frontière alors qu’elles n’ont plus le droit d’être sur le sol français. Les familles sont souvent dans des conditions de logement pires que si elles étaient en centres de rétention.
Vous parlez de “dérives insupportables” en ce qui concerne l’aide médicale de l’État (AME). Vous voulez en restreindre l’application, mais jusqu’où?
L’AME donne lieu à des abus scandaleux. Le nombre de bénéficiaires a été multiplié par trois, et 700 ou 800 millions d’euros y sont consacrés chaque année. Certains proposent de la supprimer purement et simplement. Ce n’est pas ma thèse. Quand on est en France, même si on est en situation irrégulière, si on tombe sur le trottoir parce qu’on a un AVC, on ne vous demande pas votre carte de crédit ni vos papiers. On vous soigne. Mais si vous venez d’un pays où vous pouvez parfaitement vous faire opérer d’une prothèse de la hanche et que vous programmez l’intervention en France parce qu’elle sera gratuite, non. C’est devenu un trafic et ce n’est pas acceptable.
“Je propose de créer un délit d’entrave à la laïcité”
Il est intolérable, écrivez-vous, d’empêcher un médecin homme de soigner une femme ou d’exiger dans une cantine un menu religieux. Vous voulez créer un délit d’entrave à la laïcité dans les services publics. Est-ce que ce serait efficace quand on observe que la loi sur la burqa est peu respectée?
On peut parfaitement faire respecter la loi interdisant la burqa et il ne faut pas céder là-dessus. Certains principes ne sont pas négociables, et en particulier l’égalité hommes-femmes. J’entends parler de rétablissement de la non-mixité à l’école. Et pourquoi pas des bus pour les hommes et des bus pour les femmes? Non. Le principe d’égalité est essentiel. C’est pour cela que lorsque quelqu’un arrive aux urgences et qu’il n’y a pas de médecin femme disponible, on n’est pas fondé à s’opposer à ce qu’un médecin homme vous soigne. Pour l’instant, il n’existe pas de sanction de ces comportements. Je propose en effet de créer un délit d’entrave à la laïcité dans les services publics. Parce que la laïcité, ce n’est pas un aller simple. C’est un aller-retour. L’aller, c’est la garantie de la liberté de religion. Le retour, c’est le respect des principes fondamentaux de la République, qui priment sur tous les principes religieux. On oublie que nous avons eu ce débat, voire ce combat, avec la religion catholique. Aujourd’hui, ce combat est derrière nous. Il ne faut pas qu’il renaisse aujourd’hui avec la religion musulmane, qui doit s’inclure dans le moule de la laïcité.
Vous militez d’ailleurs pour la conclusion d’un “pacte” entre l’islam et la République…
Napoléon, au début du XIXème Siècle, a conclu un pacte avec le judaïsme : avoir sa place dans la République, à condition de respecter un certain nombre de règles. Je pense qu’il faut aujourd’hui imaginer un pacte de même nature avec les musulmans. Cet accord devrait notamment porter sur le financement des lieux de culte. Il faut exiger une transparence sur l’origine des fonds. L’autre sujet, c’est la formation des imams, pour s’assurer qu’ils ont une connaissance minimum de la laïcité et de la République. Je propose qu’on leur demande de fournir un diplôme universitaire d’instruction civique. Certaines universités ont déjà créé ce genre de diplômes, à Strasbourg ou Paris. J’irais même plus loin : il faut prêcher en français dans les mosquées. Après tout, dans les synagogues ou les églises, on prêche en français.
(…) Le JDD