C’est fou, c’est le cas de le dire…, le nombre de « déséquilibrés » qu’on trouve dans les médias ces temps-ci. Je ne parle évidemment pas de mes honorables confrères, mais de cette appellation, mécaniquement utilisée à longueur de dépêches, de titres, de flashs pour parler de certains responsables d’agressions djihadistes. Le 1er janvier, un homme attaque des militaires devant une mosquée à Valence – un déséquilibré, nous dit-on. Le 7 janvier, un autre s’en prend à un commissariat parisien, dans le 18e arrondissement, avec un hachoir. Un déséquilibré, nous répète-t-on. Le 12 janvier, à Marseille, un lycéen attaque à la machette un professeur juif. Déséquilibré, ou terroriste ? se demandent gravement les premiers commentaires.
(…) Alors à quoi sert-elle ? A construire de faux dilemmes pour esquiver de vrais problèmes. A formuler les informations de manière atténuée, donc trompeuse. Au lieu d’écrire « un lycéen marseillais fanatisé tente d’assassiner un homme juif dans la rue », il devient possible de tourner une phrase d’équilibriste du genre « un homme avec une kippa a été légèrement blessé par un déséquilibré ». Ce qui n’évoque pas du tout la même chose, c’est le moins qu’on puisse dire. Le mauvais usage des déséquilibrés est alors de ne servir qu’à s’aveugler, pour ne pas voir ni entendre cette dure réalité : désormais, de n’importe où, pour n’importe qui, une menace peut surgir, n’importe quand. Conseiller de n’avoir pas peur semble donc curieusement déplacé. Prendre des cours d’autodéfense est plus équilibré.
Cette distinction n’a qu’un sens limité. A la réflexion, elle se révèle à la fois illusoire et dangereuse et résulte même d’une forme de confusion mentale. Sa vraie fonction : s’aveugler.