A Lunel (25 000 hab), grosse bourgade de Petite Camargue, quinze jeunes sont partis en Syrie en 2014, sur cinquante en tout dans l’Hérault, faire le djihad. Enquête du Monde.
La ville est juste assez grande pour pouvoir ne pas s’y mélanger, trop petite pour s’ignorer. Alors on se regarde, imaginant la vie de l’autre bien plus qu’on ne la connaît, face à face les deux clubs de football, les deux cafés, les deux établissements scolaires – dont l’un est surnommé « le lycée français».
Ce qui se passait à Lunel, « on le voyait venir, un secret de famille que tout le monde connaissait, mais on regardait ailleurs», dit Philippe Moissonnier, urbaniste et élu municipal (PS). L’affaire a fini par éclater à l’automne 2014, quand la ville a appris la mort de huit jeunes en quelques semaines. […]
[…]Parmi les familles touchées, l’une a quitté la ville. Les autres tentent de devenir invisibles, y compris celle qui s’était d’abord félicitée de compter un martyr.
«C’est un échec collectif de notre société», dit Pierre de Bousquet, le préfet. Alors que les jeunes gens étaient surveillés comme du lait sur le feu, « les services sociaux ne nous disaient rien quand ils décelaient un cas : cela aurait été de la délation, selon eux. L’éducation nationale ne nous a pas avertis non plus que l’un séchait les cours depuis trois mois. Réponse de l’académie : nous n’avions pas à le faire, c’est un jeune majeur. Chacun compartimente, caché derrière une prétendue déontologie ». […]
Une ligne de démarcation implacable tranche à vif la vieille ville, jadis surnommée «le Saint-Germain-des-Prés camarguais». D’un côté, les arènes, les halles, Notre-Dame-du-Lac, où la messe des rois se dit en occitan dans une église comble de «pescalunes», appellation qui distingue les natifs des simples habitants, les Lunellois. De l’autre, les boucheries hallal, les salons de thé, les adolescents dans l’ombre brune des porches devant d’anciennes maisons de maître, désossées par des marchands de sommeil. […]