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Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Ce lundi matin, le général de la Légion Étrangère Christian Piquemal est convoqué en comparution immédiate pour sa participation à la manifestation interdite de Calais, du samedi 6 février. La fermeté gouvernementale, loin d’être neuve, a choqué… et pour cause : pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, le rapport entre les classes dirigeantes et les forces de l’ordre semble s’être brisé. Une fracture inquiétante, qui fait office de précédent.

Vincent Tournier : Il ne faut pas minimiser ce qui vient de se passer à Calais. Visiblement, les forces de l’ordre avaient pour consigne d’interpeler immédiatement et sans ménagement le général Piquemal.

La réaction des pouvoirs publics est donc ici beaucoup plus ferme que face à autres mouvements contestataires, comme Notre-Dame-des-Landes ou le barrage de Sivens, où les forces de l’ordre ont plutôt cherché à temporiser, y compris ce dimanche face aux casseurs à Rennes.

Cette fermeté gouvernementale n’est pas nouvelle. Les militants de la Manif pour tous en savent quelque chose. Mais cette fois, les enjeux sont plus importants. Le mouvement Pegida a beau être à l’état microscopique en France, les autorités sont manifestement inquiètes devant le fait qu’un militaire de haut rang, peu suspect d’activisme militant puisqu’il a exercé des fonctions élevées dans l’administration, en prenne la tête. Pour comprendre cette inquiétude, il faut resituer le contexte. La situation actuelle est sans équivalent depuis la guerre d’Algérie. L’armée est aujourd’hui fortement sollicitée, non seulement sur le plan extérieur, mais aussi sur le plan intérieur, avec 10.000 soldats déployés sur le territoire depuis janvier 2015. Les forces de l’ordre ont donc le sentiment de jouer un rôle majeur dans la protection du pays, ce qui n’est pas faux, et elles bénéficient d’un fort soutien dans l’opinion (même le chanteur Renaud, jadis chantre du mépris pour tout ce qui porte un uniforme, a rendu un vibrant hommage aux policiers). En même temps, les forces de l’ordre sont traversées par une certaine exaspération, comme en témoigne la poussée des intentions de vote en faveur du Front national. Les enquêtes du CEVIPOF indiquent ainsi que 51% des policiers et des militaires se disent prêts à voter FN à la fin 2015, alors que 30% ont voté pour lui au premier tour en 2012.

On assiste donc à une certaine radicalisation. Les raisons doivent probablement être recherchées dans un mélange d’exaspération face à la dégradation de la situation sur le terrain, et de désarroi face à l’impuissance ou à l’indolence des pouvoirs publics. Cette situation est sensible. Elle est susceptible de provoquer des tensions entre l’armée et le pouvoir civil. Or, les tensions vont être encore plus fortes si le ressentiment et la colère des militaires parvient à s’incarner dans une personnalité qui est issue de leurs rangs et qui bénéficie d’une certaine légitimité. L’enjeu autour de cette affaire est donc très important. C’est pour cela que le gouvernement ne fera aucun cadeau. Il s’agit d’éviter d’aller vers une cassure entre l’armée et le pouvoir civil comme ce fut le cas pendant la guerre d’Algérie. Le message est donc clair : le gouvernement ne tolérera aucune incartade de la part des militaires, aucune intrusion dans le débat politique.

(…) Atlantico

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