Selon Yves Sintomer, professeur de sciences politiques à Paris 8la France offre des “signes inquiétants” d’une tentation autoritaire, et c’est le pays occidental le moins bien immunisé contre une telle dérive.
Imaginez une situation où la gauche et la droite sont divisés, et Marine Le Pen arrive largement en tête au premier tour, se retrouve face à François Hollande au second… Nul ne peut aujourd’hui pronostiquer à 100% une défaite du FN.
Nos vieilles démocraties, en Europe et en Amérique du Nord, traversent une crise de légitimité profonde, marquée par une défiance de plus en plus importante vis-à-vis des gouvernements et des élites. […] Ni statu quo, ni retour en arrière, nos démocraties représentatives vont donc muter.
Muter dans quel sens ? Quels sont les scénarios possibles ?
Trois scénarios me semblent réalistes.
[…] Troisième scénario, celui de l’autoritarisme. Il ne s’agit pas de dictature, mais de systèmes où, à la différence de la post-démocratie, la façade est remaniée : les élections existent mais la compétition électorale est restreinte ; les libertés (d’expression, d’association, d’aller et venir, de la presse…) sont amoindries par des lois liberticides ; la justice est moins indépendante… C’est la pente qu’ont pris les Russes, les Hongrois, les Polonais, les Turcs, et qu’on retrouve ailleurs, en Equateur ou au Venezuela par exemple. […]Qu’est-ce qui vous fait penser cela ? Les décisions prises après le 13 novembre ?
– Des digues ont sauté, sur les questions sécuritaires ou sur l’immigration, lors de la dernière campagne présidentielle, puis plus récemment avec les réactions aux attentats. Je pense à la question de la déchéance de la nationalité, à la prolongation de l’Etat d’urgence, à un certain repli sur un modèle national mythifié, dont la laïcité est la valeur cardinale. La pente sur laquelle s’est engagée la presque totalité de la classe politique française, droite et gauche, est assez inquiétante. La xénophobie s’accroît. Une vision fantasmatique de l’Europe s’impose. Et on s’engage dans des aventures militaires qui n’ont généralement guère de sens. […]
Que faire pour conjurer le risque d’une dérive autoritaire ?
– Il faudrait d’abord une classe politique à la hauteur. […] Second champ d’action, la question de l’identité. Nous sommes une société multiculturelle, nous sommes une puissance moyenne, les pouvoirs de notre Etat-nation connaissent des limites : il faut le reconnaître et agir en conséquence. […]