Tribune de Christophe Mincke, sociologue, sur les attentats de Bruxelles.
Aussi étrange que cela puisse paraître, les Belges tendent à être orgueilleux. Non de cet orgueil qui fait penser que l’on est destiné à apporter les Lumières au monde, mais d’un orgueil inversé. Ils aiment se penser ouverts, accueillants, débonnaires, se croire insignifiants, habitants fortuits d’un pays issu du hasard des conflits des XVIIIe et XIXe siècles… Ils apprécient de rire de leurs puissants voisins aux poses matamoresques. Certes, ils sont souvent l’objet de moqueries, mais celles-ci les confortent dans leur conviction de leur insignifiance. […]
C’est sur cette toile de fond que surviennent les attentats à la bombe du 22 mars. La tentation est forte de se demander ce qui arrive à cette pauvre petite Belgique, si innocente, si tolérante, si cosmopolite, à l’identité si peu encombrante, qui est parvenue à digérer mille crises politiques sans en venir aux mains, qui se voulait un exemple pour l’Europe. Consternation : comment se peut-il qu’on nous attaque ? Comment quelqu’un peut-il nous juger dignes d’un attentat ? Pourquoi haïr des gens aussi inoffensifs que nous ? […]
Comme tout mythe, la légende dorée de la petite Belgique cache bien des misères. Mille haines recuites, un pays et des villes clivés, un racisme rampant (de moins en moins), la tentation du repli, une certaine fascination pour des modèles étrangers complètement inadéquats pour la Belgique, comme récemment celui de la « laïcité à la française », des discriminations à la pelle. Sous les apparences de la bonhommie, un raidissement se fait sentir depuis vingt à trente ans. Il n’y a sans doute pas de danger de voir s’instaurer aujourd’hui un autoritarisme identitaire chez nous, mais les boutiquiers aussi peuvent se durcir, rejeter, haïr et faire monter la tension. […]
Le Monde