Le récent rachat d’une bague attribuée à Jeanne d’Arc par Philippe de Villiers constitue un événement révélateur d’une utilisation symbolique de l’Histoire à des fins mémorielle, politique et économique. Il ne s’agit pas de savoir si l’anneau a véritablement appartenu ou pas à Jeanne d’Arc, même si les spécialistes, comme Colette Beaune ou Olivier Bouzy, émettent de sérieux doutes quant à son authenticité. Notons simplement que cette découverte a lieu alors que nous avons fêté en 2012 le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc, qui devient par conséquent l’objet de véritables enjeux.
Politiques tout d’abord. Depuis le début du XXe siècle avec l’Action française de Charles Maurras, Jeanne d’Arc a été accaparée par l’extrême droite qui en fera, sous Vichy, une égérie de l’antisémitisme. Aujourd’hui, la nouvelle fièvre johannique doit se comprendre dans la perte d’influence du catholicisme au sein de la société française. Réactiver la figure de la jeune martyre revient à affirmer que la France serait, par nature, une nation chrétienne. Jeanne d’Arc, tuée par des Anglais – en fait, de nombreux sujets du royaume de France ont participé à sa capture et à son procès –, sert aussi à mobiliser les foules d’hier et d’aujourd’hui contre la figure de l’étranger. Pour l’Action française, ce fut le juif. En ce début de XXIe siècle, ce sont les migrants et les musulmans qui viendraient détruire les « racines chrétiennes » de la France. […]
Etait-elle une patriote ? Pas dans le contexte médiéval, où le concept de nation n’en est qu’à ses balbutiements et qu’une partie des sujets du royaume de France, Parisiens en tête, se rallie sans complexe à l’alliance anglo-bourguignonne. Si Jeanne d’Arc se bat pour remettre sur le trône Charles VII, c’est qu’elle pense le roi valois être le seul à mériter ce titre parce que sa famille est élue par Dieu. Cela n’empêche pas les plus hauts représentants de l’Eglise du royaume de la condamner lors de son procès. […]
En plaçant l’anneau supposément lié à Jeanne d’Arc dans un endroit qui n’a jamais été associé à sa légende, Philippe de Villiers souhaite réaliser un coup médiatique, moins de deux semaines avant le lancement de la saison du parc d’attractions. Car il faudra payer pour voir l’anneau, et cher (plusieurs dizaines d’euros), alors qu’il sera utilisé comme attraction principale dans un spectacle. Nous sommes loin d’une démarche scientifique et publique qui souhaite apporter l’Histoire au plus grand nombre à moindres frais. La bague de Philippe de Villiers parachève ainsi une offensive médiatique, politique et commerciale, qui marie allègrement un discours identitaire avec une gestion spectaculaire et libérale.
William Blanc et Christophe Naudin, historiens, sont les coauteurs de Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (Libertalia, 2015, 248 p., 17 euros).
Le Monde