Article du monde de la série #VivreAvec sur les attentats. Témoignages d’Algériens vivant en France.
«Ça a commencé comme ça en Algérie, donc je crains le pire pour l’avenir» (Rachid Slimani)
C’était il y a vingt ans, en Algérie. A chaque fois que Hadji annonçait son arrivée pour voir sa famille, la voix de son père tremblait, et suppliait : « Ne viens pas. Reste en France. C’est trop dangereux. » […]
Alors, quand un matin de janvier 2015, à Paris, la radio annonce qu’un attentat vient de frapper Charlie Hebdo, Hadji s’effondre. «Ça m’a fait un choc ! Tout est revenu d’un coup, raconte l’élégant sexagénaire en portant la main à son cœur. J’étais avec ma fille et ma femme. On a pleuré toute la nuit. C’est la pire soirée de notre vie. On avait commencé à oublier, j’étais parti d’Algérie. Et voilà que ça recommence ici, en France, vingt ans après.» […]
Pour elle comme pour d’autres Algériens ayant connu la guerre civile et vivant en France, aujourd’hui il ne s’agit pas seulement de résister à la peur, ravivée avec violence, mais aussi de lutter contre les regards devenus «méfiants», et qui la blessent. […]
Rachid Slimani, un Kabyle de 42 ans, s’efforce lui aussi de lutter contre le piège que tend l’organisation Etat islamique, visant à distiller la méfiance envers les musulmans. Quand, au lendemain du 13 novembre, un homme passant devant sa boucherie l’a traité de terroriste, il a mis un point d’honneur à ne rien répondre.
S’il a peur, ce n’est pas de mourir, car après avoir réchappé à deux attaques sanglantes en Algérie, il s’est fait à l’idée que tout puisse s’arrêter brutalement. Ce qu’il redoute, c’est surtout cette stigmatisation, ce rejet que certains discours expriment, alors qu’il a tant fait pour s’intégrer. Pour lui, résister, c’est donc être «un citoyen modèle». Conjurer les divisions en faisant «encore plus d’efforts, et en partageant les valeurs de la république». Rachid Slimani en est convaincu, «c’est la seule chose à faire».