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L’auteur et chroniqueur Guy Carlier nous raconte Argenteuil, cette ville du Val-d’Oise où il est né et a habité plus de trente ans. “Il en a une vision bien éloignée de celle propagée un peu trop vite par les médias” selon Marianne.

« On ne reconnaît plus notre ville. » Je n’ai cessé d’entendre ce leitmotiv y a quelques semaines, dans cette librairie d’Argenteuil où je signais un bouquin. L’assistance était constituée de quinquas et de sexagénaires argenteuillais pure souche, avec cet accent qui n’est pas vraiment l’accent parigot, une gouaille de loubard, des néologismes consistant à finir les mots en «ade», par exemple, j’ai fait une dormade. Ces gens-là, qui respirent le prolétariat, le militantisme syndical, la Fête de l’Huma, les auto-tamponneuses, les dimanches au Moulin de la Galette, et Jimi Hendrix au Cadran, à Colombes, qui ont traversé la vie avec des idées humanistessont en train de passer du Parti communiste au Front national. […]

Je n’ai pas eu le courage de leur expliquer que, s’ils avaient en partie raison, la théorie du grand remplacement était un pur fantasme, que si le gouvernement laissait croire à la possibilité d’une insurrection musulmane en France, en insistant sur l’état d’urgence, c’était pour faire oublier, outre son incapacité à résoudre les problèmes sociaux et économiques, que c’est ce gouvernement de gauche qui aura fait basculer le pays dans la mondialisation avec plus de brutalité encore que n’aurait osé le faire la droite.

«On ne reconnaît plus notre ville, Carlier. Regarde la grand-rue, y a plus que des épiceries arabes, des kebabs, des boutiques Internet pour l’Afrique. A Argenteuil, il y a des quartiers que des types en kippa ne peuvent pas traverser, des types efféminés non plus ou des filles en minijupe pas davantage et dans les épiceries de l’avenue Henri-Barbusse on ne voit plus que des femmes voilées.» […]

Je pense à eux avec mélancolie. Ils se trompent parce qu’on les a trompés. A Argenteuil, de part et d’autre, il y a désormais des Lacombe Lucien, le héros du film de Louis Malle, jeune homme paumé, qui au début de la dernière guerre ne savait pas dans quel camp était le bien, il aurait pu être résistant, et pour une humiliation il devint milicien.

Il y a en ce moment des Lacombe Lucien partout en France, qui ne savent pas de quel côté est la résistance ni de quel côté est la collaboration, mais le plus grave, c’est que, s’il y a des Lacombe Lucien, c’est que la guerre a déjà commencé.

marianne

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