Tribune d’Adam Shatz, essayiste, qui estime que, dans leur critiqua de l’islam, certains partisans de la laïcité remettent au goût du jour “un racisme drapé dans les habits de la vertu et pervertissent les valeurs républicaines”.
L’idée selon laquelle la tolérance et le relativisme culturel feraient le lit de l’islamisation de la France est un vieil argument qui remonte aux débuts de l’Algérie française.
Ce désir de libérer les femmes musulmanes s’insère dans la longue histoire des «hommes blancs sauvant les femmes brunes des hommes bruns» (selon la formule de la critique littéraire indienne Gayatri Spivak) : un projet colonial qui est aujourd’hui repensé, en France, comme une défense des valeurs laïques dans les « territoires perdus de la République ».
A part les anciens combattants vieillissants de la guerre d’Algérie, plus personne en France ne parle d’« Arabes ». Aujourd’hui on parle de « musulmans ». […] Le racisme porte souvent un masque noble : antiterroriste, laïc, féministe.
Le récent éditorial de Charlie Hebdo, « Qu’est-ce que je fous là ? », en est un exemple. Les attaques terroristes de Paris et Bruxelles « ne sont que la partie émergée d’un gros iceberg », écrit le dessinateur Laurent Sourisseau (« Riss »). Les parties non visibles de l’« iceberg » comprennent entre autres le penseur suisse Tariq Ramadan, qui a été accusé de pratiquer un « double langage », faisant mine d’être un modéré tout en œuvrant secrètement à l’instauration de la charia en Europe. […]
Certes, plaisante Riss, «il ne prendra jamais une kalachnikov pour tirer sur des journalistes dans leur salle de rédaction » mais « d’autres le feront à sa place». Et n’oublions pas la «femme voilée » dans la rue, ou le boulanger de quartier qui a cessé de proposer des sandwiches au jambon. Aucune attaque terroriste « ne pourrait avoir lieu sans le concours de tous». […]
Les défenseurs actuels de la laïcité, aussi bien à droite qu’au centre gauche, ont abandonné tout semblant de neutralité. Il n’est guère étonnant que pour nombre de musulmans en France, y compris la majorité silencieuse qui ne met que rarement, sinon jamais, les pieds dans une mosquée, le « gros iceberg » de Charlie Hebdo n’apparaisse que comme un terme codé leur enjoignant de rester à leur place.