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Il est un peu moche, son classeur, Rémi. C’est un de ces classeurs qu’on traîne d’une année sur l’autre, pour éviter d’en racheter un à chaque rentrée. Il manque la moitié de la couverture, un drapeau britannique. Ne reste que la tranche en carton, et elle-même est mal en point : il l’émiette nerveusement depuis que sa prof lui demande pourquoi il ne veut pas aider les migrants : « Je les connais pas, moi, mon argent je l’ai durement gagné, je vois pas pourquoi je devrais le partager », répète l’adolescent en classe de 3e.

Cela fait deux ans que le musicien Cyril Amblard propose à des collèges d’Auvergne un projet pédagogique qui, au travers de chansons contestataires folk, fait le lien entre l’Histoire et le présent. Le thème s’impose en fonction de l’actualité : cette année, c’est la crise des migrants. En étudiant Les Raisins de la colère de Steinbeck, récit d’une famille américaine sur la route de l’exil, et les chansons qui s’en inspirent de Woody Guthrie et Bruce Springsteen, les adolescents doivent écrire leur propre chanson.

A l’automne, le musicien a déjà réalisé l’atelier d’écriture avec un établissement de Clermont-Ferrand : en est sortie une chanson assez convenue, aux paroles« lissées ». Mais cette fois-ci, dans le tout petit collège de Saint-Amant-Roche-Savine, cinquante-cinq élèves dans une commune de 520 habitants, nichée dans le parc naturel Livradois-Forez, l’exercice a donné des résultats inattendus.« C’est la première fois qu’il y a autant de débats, de positions tranchées », note-t-il.

Lors de sa précédente visite en mars, il a demandé aux 3e de dire spontanément ce que leur évoquait le mot « migrants ». Parmi les « espoir », « bateau » et « solitude », ont surgi « AK47 » et « terroristes ». En ce début du mois d’avril, alors que commence la troisième et dernière séance de l’atelier, Cyril Amblard s’attend à de nouvelles surprises. […]

Dans le groupe « arrivée », Chloé se met dans la peau d’un migrant : « Des gens me regardent comme une bête en cage. Il me manque la mélodie de ce pays. Des parfums inconnus migrent dans ma vie. » Son texte, construit en rimes et en couplet, plaît beaucoup à Cyril Amblard.

A droite de la jeune fille, Rémi, très inspiré, remplit sa feuille volante d’une traite. Son texte commence ainsi : « Les Noirs… », puis il raye ce mot. « Je me suis trompé, je voulais écrire migrants », s’excuse-t-il. Il poursuit : les migrants, donc, il ne veut pas les aider, il ne « partage pas avec de parfaits inconnus ». Sa prof d’histoire-géo, Emilie Tardes, s’accroupit à côté de lui. Elle lui rappelle les Français qui ont caché des juifs lors de la seconde guerre mondiale. Rémi baisse la tête. Le petit tas de miettes de son classeur grossit un peu plus. « Oui, mais moi si on ne m’aidait pas, je comprendrais. C’est pas de la haine contre ce peuple », se défend-il. Sa camarade Louise lève les yeux au ciel : « Mais ça te fâcherait si on t’aidait pas. » […]

Les deux garçons reprennent leurs stylos et proposent vite une nouvelle version, lapidaire : « L’argent ne tombe pas du ciel, arrêtez de vous plaindre et cherchez du boulot. Il n’y a pas un coffre rempli d’or au pied de l’arc-en-ciel. » On tourne en rond. Les profs, exaspérées, ont besoin de souffler : à trente minutes de la fin de l’atelier, et alors que le troisième couplet n’est toujours pas écrit, elles annoncent une pause. […]

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Merci à sehnsucht3

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