Pour Georges Bensoussan, historien, l’expulsion d’Alain Finkielkraut de Nuit debout révèle le refus d’une certaine gauche de prendre en compte les deux notions complémentaires du malheur français : la misère sociale mais aussi le malaise culturel. Il a dirigé l’ouvrage Les Territoires perdus de la République (Mille et une nuits, 2002) rassemblant les témoignages d’enseignants et chefs d’établissements scolaires.
Un fait stupéfiant entre tous: le récent pamphlet de Houria Bouteldja (Les Blancs, les Juifs et nous, éditions La Fabrique) qui sonne dès le titre comme une incitation au racisme et à la sécession nationale, n’a suscité aucune plainte. D’aucun organisme officiel ni d’aucune organisation militante. Imaginons un instant un militant FN publiant «Les Noirs, les Juifs et nous», et le tollé, justifié, qui s’en suivrait.
Certains font la comparaison avec mai 68. Mais en mai 68, le signe juif était valorisé. On se souvient de Cohn-Bendit et du slogan mille fois repris «Nous sommes tous des Juifs allemands». Ici, au contraire, et à l’image de l’époque, le signe juif est dévalorisé de façon sournoise.
Que depuis quarante ans l’ultra gauche ait ainsi pu tomber dans le piège de l’immigration laisse songeur sur sa difficulté à penser politique. En attendant, depuis quatre décennies, cela réjouit au moins les beaux quartiers.
Alain Finkielkraut a été agressé verbalement et s’est fait craché dessus avant d’être expulsé de la place de la République par des militants de Nuit Debout. Que cela vous inspire-t-il ?
En soi, l’éviction menaçante d’Alain Finkielkraut de la place de la République n’est pas une surprise. Personne n’a appris ce soir-là que l’ultra gauche était sectaire, et que la liberté d’opinion c’était d’abord la sienne. C’est d’autant plus frappant que le débat sur la liberté d’expression est très ancien, qu’il traverse la gauche radicale depuis un siècle. C’est l’une des raisons pour lesquelles Rosa Luxembourg s’opposait aux bolcheviques dès 1918, quelques semaines avant sa mort, elle qui écrivait que «la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement». […]
Que cela révèle-t-il sur l’état du débat en France ?
Cela met en lumière un système politique verrouillé qui appelle l’émergence d’autres formes de démocratie. Le taux d’absentions (75 % dimanche 17 avril aux législatives partielles à Nantes) signe la mort d’un système. La classe politique au pouvoir, autour du PS, représente à peine 1 Français sur 6.
Une classe politique qui, pour partie, est coupée des réalités. Mais il y a plus grave, peut être, c’est le divorce entre la vision médiatique et le pays réel. «Nuit debout» est une bulle au sein de la ville, quasi totalement coupée des classes populaires dont elle se réclame pourtant (voyez l’échec de «Nuit Debout» en banlieue sur lequel on reste discret). On est ici dans un entre soi d’hommes et de femmes de gauche qui s’aiment à se retrouver dans le regard des autres. […]
Si l’appartenance à la oumma est prioritaire, alors il faudra bien reconnaître qu’il y a incompatibilité avec la nation et la République française.