L’organisation, par deux jeunes femmes, d’un camp d’été “décolonial”, du 25 au 28 août, en Champagne Ardenne, suscite la polémique, du fait qu’il est interdit aux personnes blanches, qui ne sont pas victime du “racisme d’État”. Pour la sociologue et professeure à l’Université Paris 8 (Saint-Denis, 93), Nacira Guénif-Souilamas, ces réactions sont la preuve-même que la tenue de ce camp est indispensable.
Revenons un instant sur la notion de “racisme d’État”. Il y a deux façons d’aborder le racisme. La première est morale, et consiste à considérer qu’il y a des personnes mal élevées, qui établissent une hiérarchie entre les personnes, à raison de leur origine, leur religion, leur ethnicité ou leur couleur de peau. Face à cela, il suffirait de dénoncer et de corriger les dérives de personnes isolées ou d’acteurs déviants.
L’autre approche consiste à dire que le racisme n’est pas seulement une question d’individus qui manquent d’éducation, mais qu’il est hérité de structures coloniales et impériales, qui n’ont pas été démantelées au moment de la liquidation de l’empire colonial, notamment français. […]
Les personnes blanches ne sont définitivement pas victimes d’un racisme d’État. Entendons-nous bien sur ce que veut dire “Blanc” : il ne s’agit pas d’une couleur, mais d’un statut politique qui renvoie à une position suprématiste de domination construite pendant des siècles de colonisation et d’esclavage. Qu’elle soit revendiquée ou pas, elle attribue des privilèges à certaines et en privent d’autres de droits fondamentaux attachés à la personne.
En revanche, une femme blanche convertie à l’islam est d’emblée racisée, car la religion musulmane est un vecteur de racialisation, une manière d’altériser la personne, de l’exclure du commun, du groupe dominant et légitime. En se convertissant, cette personne perd son privilège de personne blanche pour se voir attribuer des stigmates liés au fait qu’elle est devenue musulmane. […]
La raison pour laquelle ce camp suscite autant de nervosité, c’est qu’une question politique majeure est désormais soulevée : sommes-nous capables de prendre la mesure des pratiques racistes qui banalisent l’islamophobie, le racisme contre les Roms, les Noirs, les Arabes… Et d’arrêter d’accuser les victimes d’être les coupables ?
Le Nouvel Obs