Par Louis-Georges Tin et Alain Jakubowicz
Osons le dire : la plupart de nos concitoyens ignorent presque tout de l’histoire de l’esclavage colonial. Malgré les avancées liées à la loi Taubira, qui a reconnu qu’il s’agissait d’un crime contre l’humanité, le déficit de culture générale dans ce domaine demeure frappant.
Concernant les dates, par exemple. Tout le monde croit que l’esclavage aurait été aboli en 1848, par le décret Schoelcher. En réalité, il n’en est rien. A la fin du XIXe siècle, dans les territoires d’Afrique, l’administration coloniale refuse d’abolir l’esclavage de case, y recourt très volontiers, et surtout, met en place le travail forcé, système très différent de l’esclavage du point juridique, mais tout à fait semblable du point de vue pratique. L’Etat réquisitionne des populations indigènes, et les met à disposition des compagnies ayant reçu des concessions pour les travaux publics. La Société des Nations (ancêtre de l’ONU) et l’Organisation Internationale du Travail ne cessent de condamner ce système, où l’on tue littéralement à la tâche des millions d’indigènes. Mais cet usage n’est aboli qu’en 1946, avec le vote de la loi Houphouët-Boigny, député et futur président de la Côte d’Ivoire. Et encore, il se perpétue en bien des lieux jusqu’au début des années 1960. En ce sens, le roman national d’un esclavage aboli au milieu du XIXe siècle mérite-t-il d’être sérieusement nuancé.
(…) Le Monde