Interview de Christian Rainer directeur, rédacteur en chef et éditorialiste du news magazine autrichien libéral Profil.
[…]
Si Norbert Hofer est élu le 22 mai, l’Europe aura pour la première fois un chef d’Etat allié à Europe des nations et des libertés, le groupe politique d’extrême droite du Parlement européen. Marine Le Pen, qui en est la chef de file, serait alors sa bouche et ses oreilles au cœur des institutions. Les conséquences pourraient être considérables pour l’Europe. Or, là encore, il semble que personne ne réagisse en Autriche…
Je mets vraiment cela sur le compte d’une lassitude qui a fini par gagner la scène culturelle et intellectuelle viennoise. Quand vous répétez les mêmes choses pendant des années et que cela ne change rien, vous êtes tenté de faire autre chose. Il y a un deuxième élément d’explication qu’il ne faut pas négliger : la seconde guerre mondiale et les crimes odieux du nazisme commencent à s’éloigner. Auparavant, l’extrême droite avait du succès, mais sa position restait ambiguë par rapport au national-socialisme. Aujourd’hui, on n’associe plus automatiquement ce parti au passé mal digéré de l’Autriche.
Selon moi, cette élection en Autriche est ainsi la première à nous prouver que la Shoah fait désormais partie de l’histoire. Nous sommes passés dans une autre époque.
N’y a-t-il pas aussi, chez les élites intellectuelles viennoises, un effet de sidération ?
J’écris depuis vingt ans que le FPÖ arrivera probablement un jour à obtenir la chancellerie, grâce au système autrichien de la proportionnelle aux législatives, qui rend nécessaire de former un gouvernement de coalition. […]
Que s’est-il passé qui a changé les choses ? La crise des migrants. A l’étranger, les gens n’ont pas bien compris l’ampleur que ce phénomène allait prendre dans un petit pays de 8,6 millions d’habitants comme l’Autriche.
De loin, on ne s’est pas intéressé à ce que représente l’accueil de 90 000 demandeurs d’asile. Pour ma part, il me semble que le gouvernement n’a pas mal réagi en accueillant d’abord, puis en fermant progressivement les portes devant l’incapacité des Européens à trouver une solution.
Pourquoi les autres partis autrichiens n’ont-ils pas établi de « cordon sanitaire » autour de Norbert Hofer ?
Je m’en suis personnellement plaint auprès d’Irmgard Griss, la candidate indépendante [proche du centre droit] arrivée en troisième position lors du premier tour de la présidentielle, avec près de 20 % des voix, et qui refuse de donner des consignes de vote. […] Il serait impossible que la CDU n’appelle pas à voter pour le candidat qui se serait qualifié face à l’extrême droite. Vous imaginez Angela Merkel ne pas donner de consigne de vote pour faire battre la présidente de l’AfD, Frauke Petry ? C’est impensable. Elle ne se cacherait certainement pas derrière le secret de l’isoloir, comme le font les conservateurs en Autriche. […]
Le Monde