Fdesouche

Études, enquêtes, essais consacrés à l’« État islamique », ses origines, son fonctionnement, les moyens de l’éradiquer, foisonnent dans l’actualité éditoriale. Pour Scott Atran, anthropologue franco-américain, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université d’Oxford et à celle du Michigan, ces analyses ratent leur cible car elles ne prennent pas en compte la nature profonde de l’« EI ».


HD. Qu’est-ce qui fait de l’« État islamique » une révolution et en quoi participe-t-il de la modernité ?
Scott Atran. Malgré des éléments régressifs associés à la recherche d’une voie vers l’avenir dans un passé mythique, l’« EI » est complètement moderne dans sa méthode visant à unir les individus dans une guerre totale – idéologie, économique, culturelle, militaire – pour sauver l’humanité. Cependant, l’« EI », contrairement à la plupart des mouvements révolutionnaires sociaux et à al-Qaida, mais de manière similaire au mouvement national-socialiste, est aussi porteur d’une vision apocalyptique selon laquelle il peut être nécessaire de détruire le monde pour le sauver. On peut alors se rappeler que les États-Unis et l’URSS adhéraient à cet état d’esprit génocidaire dans la doctrine de « destruction mutuelle assurée » (ou « équilibre de la terreur ») : l’annihilation mutuelle nucléaire si nécessaire.
HD. Quelles erreurs pointez-vous dans les analyses du phénomène « État islamique » ?
S. A. Définir l’« État islamique » comme une simple déclinaison du terrorisme ou de l’extrémisme violent, insister sur le fait que sa brutalité serait seulement « immorale » ou « nihiliste » et, partant, autodestructrice, ou encore refuser de l’appeler par le nom que lui-même s’est donné dans le vain espoir de le délégitimer : tout cela est contre-productif et constitue une profonde erreur. En occultant sa capacité d’attraction et en ne mettant pas en lumière son caractère révolutionnaire, on masque la véritable menace qu’il représente. L’« EI » offre la perspective d’une société utopique, qui rachète et sauve l’humanité à travers l’action violente qui doit briser les chaînes de l’ordre mondial des États-nations imposé à l’issue de la Première Guerre mondiale par les vainqueurs européens.
HD. Que nous apprennent les parallèles que vous faites entre les actions de l’« EI » et certaines périodes de l’histoire de l’Occident ?

S. A. Une entité politique prêchant et mettant en pratique des idées radicalement différentes de celles des autres nations et mouvements de masse, qui n’avait pas de territoire substantiel il y a deux ans, peut aujourd’hui se targuer d’avoir la force combattante composée de volontaires étrangers, issus d’une centaine de nations différentes, la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale. L’« EI » contrôle des centaines de milliers de km² et des millions d’habitants, et a réussi à défendre une ligne de front de 3 000 km contre une coalition internationale d’armées, ce qui rappelle, de plusieurs manières, la Révolution française.

[…] Humanité

Fdesouche sur les réseaux sociaux