On a beau tourner et retourner dans la ville de Pinkafeld, à plus d’une heure de Vienne, la capitale autrichienne, on ne voit rien. Enfin rien de bizarre, de dangereux ou de menaçant. Bien au contraire. Les façades affichent des couleurs pastel, pas un tag, pas un papier par terre, pas un SDF. Et pourtant. La ville natale de Norbert Hofer, candidat à l’élection présidentielle et qui devrait être fixé sur son sort dimanche, vient d’accueillir 90 demandeurs d’asiles. A priori, sur une population de 5400 habitants, une goutte d’eau. Oui mais.
Mais que faîtes-vous de l’ambiance, de l’atmosphère générale en ville, depuis leur arrivée? L’arrivée de qui? Des “Asylanten”, un mot intraduisible, extrêmement péjoratif et utilisé par Kurt Maczek, le maire SPÖ (Parti social-démocrate) de Pinkafeld pour désigner les demandeurs d’asile (Asylbewerber). “Les femmes (comprenez les Autrichiennes) ne se sentent plus à l’aise, hésitent à sortir seules dans les rues, affirme, Kurt Maczek, 61 ans, qui effectue son troisième mandat. Ces étrangers traînent près du supermarché, des terrains de sport. Et puis, on note que dans les écoles, ces enfants n’ont pas de respect pour le personnel féminin”.
Au même moment, une famille, enfin le père et ses six enfants -la mère serait restée seule, en Syrie, à attendre un dernier enfant disparu- avancent gentiment sur la rue principale. Le papa est hilare, visiblement encore effaré d’être là, aidé par une gentille habitante de Pinkafeld. Parce que la ville est un peu coupée en deux. Enfin, pas tout à fait. Hofer a raflé plus de 60% des suffrages lors du premier tour de la présidentielle. Il y a donc une poche de résistance qui se concentre autour de l’association Pink-up, fondée l’été dernier par deux hommes empreints d’humanité, le docteur Rainer Oblak et son ami Edouard Posh. Avec eux, une quinzaine de bénévoles attitrés qui coordonne le tout. Plus un volant de volontaires qui aide comme il peut. La résistance n’est pas morte à Pinkafeld. Elle se situe juste en face de la mairie. […]
Et retourner en face, de l’autre côté de la rue, à la mairie. Mais côté cour. Au deuxième étage d’un bâtiment adjacent mais toujours municipal. Le maire qui travaille main dans la main avec le FPÖ, et qui n’est pas particulièrement tendre à l’égard des étrangers, n’est pas à un paradoxe près non plus. C’est lui qui nous parlera de l’association Pink-up, lui qui montrera qu’elle figure en bonne place dans le journal municipal. Allez comprendre. En attendant, c’est Edouard Posh qui conduit la visite. “C’est ici, qu’on les accueille”, explique-t-il, avec conviction. Un long couloir qui abrite plusieurs pièces. Une cuisine, une salle de jeux qui abrite en ce jour quatre gamins qui font autant de bruit que vingt, et deux salles de cours. Que des hommes, séparés en deux groupes. Il y a eu des tentatives de cours mixtes mais les résultats n’ont guère été probants, les rapports hommes/femmes étaient trop compliqués ou sensibles. Soient les femmes n’osent pas parler, soient elles désertent au fil des jours les cours, prétextant enfants, courses ou maladies. En revanche, dès qu’elles sont entre elles, pas une ne rate une leçon. […]
Le JDD