Doctorant, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, spécialiste du Qatar, Nabil Ennasri a séjourné dans plusieurs pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis).
Président du CMF (Collectif des Musulmans de France), il a étudié les sciences Islamiques à l’IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) de Château-Chinon. Il est l’auteur de ‘L’énigme du Qatar” paru en mars 2013 aux éditions de l’IRIS.
Ce soir, je suis furieux. Pour la 2e fois en deux ans, on vient de me voler mon téléphone portable à l’arraché. Pour la 2e fois en deux ans dans la même zone, près d’un quartier. Ca se joue en qqs secondes devant l’arrêt de bus, une petite “racaille” profite que tu sois rivé sur ton écran, te prend le téléphone des mains et galope au coeur de la cité. Comme la dernière fois, je l’ai coursé mais en vain. Heureusement pour lui d’ailleurs, car sinon je l’aurais détruit.
Vous imaginez donc dans quel état de dépit et de colère je suis. Mais ce soir, je souhaite sortir de ma situation pour vous faire une réflexion. Je pense qu’on a trop longtemps laissé faire et qu’on a rien dit. Il y a dans les quartiers, ces “racailles”, ces jeunes dont la violence gratuite n’est en rien justifiable. Une violence quotidienne qui pourrit la vie des habitants et dont les premières victimes sont la plupart du temps les habitants des cités. Consommation de drogue, trafics, violences, insécurité avec des chiens dangereux, incivilité, caillassages des services publics et rixes avec usages d’armes à feu. Avant d’être des ennemis de l’Etat, ces jeunes sont d’abord les ennemis de leur propre famille et de leurs quartiers. Ils n’ont aucun respect pour leurs parents qui, souvent, ont trimé leur vie pour leur offrir une vie meilleure loin du bled et du pays d’origine.
On a été trop laxistes dans le discours. A force de ne rien dire, non seulement, on développe auprès de ces jeunes la culture de l’impunité (ce qui est loin de leur rendre service) mais en plus, on offre un boulevard de prédication aux populistes et au Front national qui se fait le porte-voix de ceux qui, dans le silence, avalent cette violence diffuse qui leur plombe le quotidien. Si on est logique avec nous mêmes et qu’on dénonce toutes les formes d’injustices, celles-ci ne doivent plus être ignorées. J’en parle car j’en suis encore victime aujourd’hui et je m’en veux de ne pas avoir mis l’accent sur ça plus tôt et de manière bcp plus explicite. Et qu’on ne vienne pas me sortir le discours à deux francs qui excuse ces jeunes de ces violences car ils seraient victimes d’un ordre social qui légitimerait leurs méfaits. Cette pollution intellectuelle d’un gauchisme dépassé me révulse d’autant que ceux qui portent ce discours sont souvent ceux qui ne vivent même plus dans ces quartiers.
Dernière chose : je commence à m’interroger désormais sur le sens des priorités au sein de l’espace de “l’engagement musulman”. On dirait qu’il n’y a que l’islamophobie qui doit mobiliser. Bien sûr qu’elle existe et qu’il faut lutter contre ce fléau contre lequel nous sommes nombreux à nous engager depuis des années (je suis moi-meme adhérent du CCIF). Mais désolé de vous dire que j’ai un peu cette impression que cet engagement est omniprésent et tout se passe comme si la “communauté” ne souffre que de ça. J’ai bel et bien le sentiment que le fléau de cette violence urbaine quotidienne pèse autant voire plus dans la vie des gens. Où sommes nous quand il s’agit de dénoncer cette réalité? Où sont les responsables et intellectuels communautaires pour condamner les ravages commis par une poignée d’imbéciles? De ce rap absolument aliénant, stupide qui exalte tous les vices et bourre le crâne à de générations de jeunes jusqu’à en faire des monstres? De ces bandes qui créent parfois la panique dans les quartiers et qui, d’expéditions punitives dans d’autres cités, vont jusqu’à tuer, balafrer, tabasser? Oui, il y a de l’islamophobie et il faut la combattre. Oui, il y a de la violence d’Etat et il faut la dénoncer comme pour les bavures policières ou les contrôles au faciès. Mais oui, il y a aussi un envers du décor dans nos quartiers qu’il faut savoir regarder avec courage. Le dénoncer n’est pas “reproduire” le discours du Front national. Le dénoncer, c’est appliquer l’éthique islamique de la responsabilité quant au fait de condamner les dérives même quand elles viennent des nôtres. C’est cette posture que je défendrai désormais sans aucune espèce de complexe car elle est non seulement indispensable au regard de la réalité mais cohérente avec nos valeurs et notre engagement idéologique.
Issu d’une fratrie de 10 enfants et ayant grandi dans une cité, je n’ai aucun scrupule à tenir ce discours. Car nous sommes nombreux à connaitre la banlieue ; il y a le côté de la banlieue qu’il nous faut promouvoir. Celui des jeunes qui se battent à l’école, respectent leurs parents et se défoncent pour sortir du marasme social. Ceux là ont tout notre respect et sont des modèles. Mais il y a aussi celui des idiots et autres racailles qui se croient tout permis. Ils jouent les gros bras et sèment la terreur en volant, insultant, fumant et en ne respectant rien. Ceux la méritent tout notre mépris et doivent comprendre qu’en plus de la sévérité de la loi, ils trouveront d’autres jeunes des cités prêts à les combattre comme il se doit.
En attendant, que ceux de cette page qui avaient mon numéro m’envoie un texto pour que je récupère mon répertoire. Je n’avais pas fait toutes les sauvegardes.
