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Identité, nation, voile, violence, migration… Achille Mbembe, camerounais, ” théoricien du post-colonialisme” renvoie le continent européen à ses crispations et à son immobilisme. Il est professeur à l’université de Witwatersrand à Johannesburg en Afrique du Sud et à celle de Duke aux Etats-Unis

«La France peine à entrer dans le monde qui vient».

Dans le débat autour des questions d’identité, de frontières et d’islam, la France voit remettre en cause une de ses valeurs phares, l’universalisme. Une chance ou une épreuve ?

La France change, elle y est obligée. C’est justement, parce que des transformations irréversibles sont en train de s’opérer autour de ces questions que les lignes de confrontation et de conflit se raidissent. […]

En France a eu lieu une violente polémique avec la ministre des Droits des femmes autour du mot «Nègre». Pourquoi avez-vous le droit d’employer ce mot à longueur de livres, et elle non ?

Parce qu’en n’en connaissant ni les tenants ni les aboutissants historiques, elle emploie ce terme à tort et à travers. Au passage, elle blesse, en toute bonne conscience, des gens. Il y a des termes lourds d’histoire que des gens incultes, mais qui se prévalent d’une parole officielle, ne peuvent utiliser qu’à leurs risques et périls. […]

Comment expliquez-vous le débat français autour du voile ?

Je ne comprends pas cette fixation. Nous traversons une époque caractérisée par une profonde incertitude dès lors qu’il s’agit de dire avec exactitude qui est qui. Le moment terroriste a pour effet de réactiver les dispositions paranoïaques qui existent à l’état latent dans toutes les sociétés. Quand la peur devient si intense et si interne, et le préjugé si viscéral et si partagé, le désir de démasquer l’ennemi potentiel, de l’exposer, d’en révéler l’identité profonde et secrète devient un besoin presque anal ! Je crains que la fixation sur le voile ait davantage à voir avec cette forme de l’analité qu’avec la laïcité ! […]

Cela signifie que l’histoire nationale…

… ne veut rien dire !

Il n’y a d’histoire que dans la circulation des mondes, dans la relation avec Autrui. C’est l’autre, le lointain, qui m’octroie mon identité. Une société qui refuse de se voir donner son identité par l’Autre est une société profondément malade, agitée par toutes sortes de troubles.

C’est pour cela que vous remettez aussi en cause l’universalisme à la française que vous qualifiez de «péteux» ?

L’universalisme péteux est celui qui ne sait pas faire place à cette parole qui le conteste, ou qui exige d’être prise en compte . Il ne dispose plus des ressources de l’inclusion. C’est le cas de tout universalisme de type finalement ethnique. Quand j’entends ces gens – toutes sortes d’individus venus d’horizons divers qui ont fini par faire souche ici, mais que l’on ne cesse de renvoyer à leur différence – dire «je suis Français», je n’ai pas l’impression qu’ils veulent créer un Bantoustan en plein cœur de Paris.

Libération

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