«The Greatest» est décédé à Phoenix à l’âge de 74 ans, terrassé par Parkinson. Vedette planétaire à la verve cinglante, Ali a révolutionné son sport et envahi les champs politique, médiatique et culturel. Mohamed Ali a un style peu commun pour un boxeur poids lourds. Il tient généralement les mains le long de son corps plutôt qu’en position haute pour protéger son visage. Là où il fut un poids-lourd hors-normes, c’est dans ses déplacements souples, rapides, précis, qu’il résumait par la formule « vole comme un papillon, pique comme l’abeille ».
Du 25 février 1964 au 20 juin 1967, Ali domine incontestablement la catégorie des lourds comme Joe Louis et Rocky Marciano avant lui.
Entre les deux matchs, il devient également célèbre pour des raisons dépassant le domaine sportif : il rejoint l’organisation Nation of Islam (« Nation de l’islam ») et change son nom en Cassius X, la lettre X faisant référence au rejet de son nom d’esclave en l’absence de son véritable nom d’origine africaine, pratique courante au sein de cette organisation.
Malcolm X fut le seul musulman à le soutenir avant son premier combat contre Liston (Malcolm X a d’ailleurs assisté au premier combat), puis il reçoit le nom de « Mohamed Ali » de la part d’Elijah Muhammad, chef du mouvement. Une lutte de pouvoir s’engagera autour d’Ali entre Elijah et Malcolm X. Finalement, Ali tournera le dos publiquement à Malcolm lors d’un voyage au Nigeria en 1964 et sera managé par Herbert Muhammad, le propre fils d’Elijah.
La notoriété du boxeur profitera à la Nation of Islam. Ali se rendra en Égypte en 1964 et sera accueilli par son président, Gamal Abdel Nasser, comme l’ambassadeur de la communauté noire des États-Unis. Ce n’est qu’après l’assassinat de Malcolm X en 1965 qu’il regrettera son geste. Ali quitte la Nation de l’Islam pour se convertir à l’islam sunnite en 1975. En 2005, Ali a rejoint le soufisme.
En 1966, il refuse de servir dans l’armée américaine engagée dans la guerre du Viêt Nam et devient objecteur de conscience argumentant qu’il n’a « rien contre le Viêt-cong » et qu’« aucun Vietnamien ne m’a jamais traité de nègre ». Le 28 avril 1967, il refuse symboliquement l’incorporation dans un centre de recrutement. Le 8 mai, il passe en justice. Le 20 juin, il est condamné à une amende de 10.000 dollars et à 5 ans d’emprisonnement, il perd sa licence de boxe et son titre. Ali fait appel, il n’ira pas en prison, mais aura des problèmes financiers jusqu’à ce que son affaire soit résolue par la Cour suprême en 1971.
Les prises de position d’Ali contre le service militaire ou sa conversion à l’Islam le transforment d’un champion fier, mais populaire en l’une des personnalités les plus connues et controversées de son époque. Ses apparitions publiques aux côtés des leaders de la Nation of Islam Elijah Muhammad et de Malcolm X ainsi que ses déclarations d’allégeance à leur cause au moment où l’opinion américaine les considère avec circonspection, quand ce n’est pas avec hostilité, font également d’Ali une cible d’indignation et de suspicion. Il paraît même parfois provoquer de telles réactions en soutenant des opinions allant du support aux droits civiques jusqu’au soutien sans réserve à la lutte contre la ségrégation raciale.
A l’automne 1974 est organisé à Kinshasa, au Zaïre, le match de boxe qui mit aux prises les Américains, Muhammad Ali et George Foreman pour le titre de champion du monde poids lourds.
“Big George”, le champion en titre, étant blessé, ce combat passé à la postérité sous le nom de “The Rumble in the Jungle” («la baston dans la jungle») est remporté par Ali. Autorisée par le président Mobutu Sese Seko et financée à hauteur de 10 millions de dollars par un groupe d’investissement du Libéria, l’organisation de l’évènement s’avèrera quelque peu chaotique.
L’ambiance de complicité et de liesse de ces retrouvailles entre “frères” africains et américains durera trois jours. “Pour moi, le Congo c’était la jungle et des bestioles qui vous attaquent… en fait il y a des petits hôtels, des boîtes de nuit, ce n’est pas si mal !” Lance Muhammad Ali alors qu’en coulisses James Brown semble bouleversé. “Nous sommes de retour chez nous !”, répètent des musiciens venus de New York ou de Chicago, émus à la pensée de leurs ancêtres esclaves, mais aussi des discriminations infligées aux Noirs aux États-Unis au début des années 1970.
“Blancs et Noirs, nous ne sommes pas frères. Est-ce qu’on lynche, est-ce qu’on émascule son frère, est-ce qu’on tue sa femme enceinte, comme on l’a fait depuis 400 ans ? Aujourd’hui encore, on arrête un Noir qui roule au volant d’une voiture neuve !” Dit Ali, dont le militantisme scande le film. Filmée au détour d’une rue, la propagande de la dictature mobutiste égrenée sur des panneaux géants – “Le pouvoir noir se cherche partout, mais il s’exerce effectivement au Zaïre” – résonne en écho funeste à ces rêves d’émancipation.
L’année suivante, il pose son dernier jalon mythologique chez un autre autocrate exotique. La belle entre Joe Frazier et Ali a lieu aux Philippines, alors sous la loi martiale décrétée par le président Ferdinand Marcos. A Manille, Ali pousse la dégueulasserie de son trash talk dans ses derniers retranchements. Agitant un singe en plastique devant les journalistes, il compare constamment Frazier à un gorille repoussant, insiste sur ses traits fins en comparaison avec le visage censément simiesque de son adversaire.
On diagnostiqua qu’Ali était atteint de la maladie de Parkinson en 1984 ; par la suite, ses fonctions motrices commencèrent à décliner lentement. Sa conversion officielle à l’islam sunnite et sa prise de distance avec l’historique Nation of Islam expliquent en partie son retour en grâce aux États-Unis où il fut accueilli à la Maison-Blanche par Gerald Ford et médaillé par George H. W. Bush.
En 1996, c’est lui qui alluma la flamme olympique à Atlanta. Durant les mêmes olympiades, on lui offrit également une médaille d’or pour remplacer celle qu’il avait gagnée en 1960 et qu’il avait soit-disant jetée dans l’Ohio parce qu’on avait refusé de le servir dans un restaurant à cause de sa couleur de peau. En fait il avait tout simplement égaré sa médaille…