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Slavoj Zizek ne mâche pas ses mots. Le philosophe slovène, provocateur prolixe, nous livre son analyse sur la crise des réfugiés.

Vous êtes très critique envers ce que vous appelez l’attitude « humanitaire » de la gauche sur le problème des réfugiés.

Je refuse cette approche humanitaire qui domine dans la gauche bien-pensante et qui moralise la situation. Elle est le simple envers de la brutalité raciste contre les migrants. Il y a des millions de réfugiés, pauvres et désespérés pour lesquels il faut bien sûr faire quelque chose. Mais la solution n’est pas d’ouvrir toutes les frontières pour les accueillir tous en Europe, ce qui provoquerait une immense catastrophe. La catastrophe a déjà eu lieu en un sens, surtout dans les Balkans, sur cette route Grèce-Macédoine-Serbie-Croatie-Slovénie-Autriche. C’est le chaos qui a régné, ce qui a logiquement créé de la défiance, des protestations, des angoisses. Pourquoi ne pas accueillir les réfugiés de façon plus organisée, coordonnée ?

La gauche est aussi fautive, selon vous, que la droite populiste ouvertement anti-immigrés ?

Oui, dans le sens où cette gauche bien-pensante cherche à dissimuler les sujets qui fâchent, et refuse de les aborder en public. On doit parler ouvertement de certains problèmes culturels, et des différences qui existent parmi les réfugiés. Certains sont issus des classes moyennes et éduquées, mais la majorité des musulmans ont un mode de vie traditionnel, patriarcal qui cause bien sûr des difficultés et qui se révèle souvent incompatible avec la conception occidentale des droits de l’homme. Passer sous silence les problèmes, les dénier, c’est donner des arguments aux anti-immigrés. Cela sert directement la droite radicale qui vit déjà dans une paranoïa totale.

Quels problèmes faut-il évoquer ?

Le fait que certains musulmans ne supportent pas nos sociétés ouvertes, tolérantes, qui défendent les droits des femmes et des homosexuels. Et plus généralement ce mode de liberté qui, chez nous, est davantage individuel. En Allemagne, en Suède ou aux Pays-Bas, des gay pride ont été attaquées par des musulmans. Pour prévenir les conflits, il faut poser des règles strictes, une tolérance envers le mode de vie des autres. Mais où doit s’arrêter la tolérance ?

Un exemple : que certains enfants dans les écoles primaires obtiennent à la cantine de la nourriture sans porc, cela me semble normal, c’est de la différence culturelle. Mais que certains passent à un niveau plus élevé cherchant à interdire le porc tout court, cela n’est pas possible. Que certaines familles refusent que leurs filles aillent à la piscine et participent à des activités nautiques, pourquoi pas, mais refuser que toutes les filles portent des mini-jupes pour ne pas tenter les garçons, là non. Comme le dit Jean-Claude Milner, qui est récemment venu à Ljubljana, tous les musulmans ne sont pas des victimes passives, certains ont des projets actifs. Et certains d’eux donnent le ton.

[…]

Vous dénoncez également la tendance de la gauche à critiquer l’européocentrisme.

C’est en effet très à la mode de critiquer l’européocentrisme, identifié au colonialisme. Certains disent que l’idée européenne est vieille, finie, alors même que des milliers de personnes veulent actuellement rejoindre l’Europe. Il y a là un curieux paradoxe. Mais dans le monde tel qu’il est avec d’un côté un capitalisme anglo-saxon assez sauvage, et de l’autre le capitalisme très autoritaire qui règne en Chine, en Turquie ou en Russie, je préfère encore l’Europe.

Critiquer l’héritage européen, c’est critiquer ce qui est le plus précieux chez nous, le féminisme, l’égalité, la solidarité, l’Etat providence, les libertés religieuses, la protection de la liberté individuelle contre les pressions collectives, toutes ces valeurs qu’il nous faut réaffirmer haut et fort dans la crise des réfugiés, sans craindre justement qu’elles paraissent européocentrées.

Telerama

Merci à cathyB

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