La Prom’, le soir du 14-Juillet. Nadia, Daniel et Ludovic, membres de l’Union nationale des parachutistes, racontent une nuit en enfer. Une nuit à veiller les morts et à protéger les vivants.
Nadia et Daniel ont 70 ans. Ludovic est handicapé. Deux bérets rouges et une femme de béret rouge. Le soir du 14-Juillet, ils sortaient de la Villa Masséna où ils avaient assisté au feu d’artifice avec les autres membres de la section de Nice de l’Union nationale des parachutistes.
Et le camion de la mort est passé sur la Prom’. Ils étaient là, bérets rouges, chemises blanches, insignes. Ils étaient là. Et ils sont restés. Pour aider. Désespérément. Tenter de ramener à la vie les derniers souffles. Tenir la main à ceux qui s’éteignaient doucement. Veiller les corps. Protéger les vivants.Et les morts des charognards et des voyeurs. (…)
Voici leurs témoignages.
Daniel Ziegler et Nadia Mercier.
Souvent la nuit, elle rêve qu’elle retient un camion fou avec ses mains. Elle n’y arrive pas… Elle se réveille. Et le cauchemar continue. Elle se souvient « les corps, les enfants, les charognards… ». Ils n’ont « pas réfléchi ». Ils sont restés « pour voir s’ils pouvaient aider, sauver des vies ». Et ils n’ont « trouvé que des morts, ou presque ». Leur histoire. Le 14-Juillet. Le feu d’artifice qui se termine.
Nadia et Daniel l’ont regardé depuis la terrasse de la villa Masséna avec les autres membres de la section de Nice de l’Union nationale des parachutistes (UNP). Puis, ils sont descendus sur la Promenade. « On voulait aller écouter un peu de musique. Mais, arrivés au CUM, on avait mal aux pieds, on s’est dit qu’on allait rentrer. » Et « le camion est passé, les corps sautaient en l’air, ça a été rapide ».
Daniel est un ancien para. Nadia, veuve d’un ancien para. Bérets rouges, corps et âme. « On n’a pas réfléchi, on est allés voir si on pouvait aider », dit simplement Nadia. Elle a les mains qui tremblent. Les yeux qui brillent un peu trop. Il lui prend la main. Et son regard se noie.
« Il y avait des corps disloqués partout, raconte Daniel. Au milieu, une femme était encore vivante. J’ai essayé de la réanimer. Un docteur, qui habitait en face, était là. Il m’a dit: ‘Arrêtez, c’est fini’… Elle est morte comme tous les autres, tous ces enfants… »
« UN GARS A PRIS LA POUPÉE DE LA PETITE FILLE MORTE, JE ME SUIS BATTU… »
« On a donné une couverture à un petit gosse blessé. Il était vivant. Dans les bras de son père », se souvient Nadia. « De temps en temps, je venais et je lui caressais le dos. Il était froid. Son père s’est couché contre lui pour le réchauffer. Il est resté contre son fils bien longtemps après que le petit était mort… » Daniel ajoute: « C’était un de ces silences… Un silence de mort… »
Mais, le pire, lâche Daniel. « C’était pas ça. Toute cette mort, toute cette douleur. C’était les charognards. Des gens tournaient autour des cadavres. Ils soulevaient les corps avec les pieds… Ils sont venus comme des mouches… »
Ça l’a brisé, il peine à trouver les mots pour « cette petite fille qui était morte. Il ne lui restait que sa poupée. Une poupée rose à côté d’elle. Un gars est arrivé et a pris la poupée, je me suis battu pour la reprendre ». Il pleure.
Alors, continue Nadia, « j‘ai pris la petite poupée et je l’ai glissé sous la couverture de survie, tout contre elle, pour qu’elle reste avec elle”.
Daniel s’est « battu plusieurs fois: un type a pris un portable à côté d’un corps. Je lui ai dit: ‘Lâche ça’. Ils sont arrivés à cinq. Ils ont fait tomber mon béret et ils ont pris le portable. Je n’avais pas peur, j’étais dans une colère…»
Nadia a aussi essayé de les arrêter.
« Des fois ils étaient trois ou quatre… Je leur disais: ‘J’ai été porte-drapeau, si tu me frappes, tu frappes la France’… » Et, puis, il y avait « les gens qui venaient voir. Parfois avec leurs enfants ». (…)