Les garçons issus de l’immigration maghrébine échouent davantage que la moyenne. La faute à une école discriminante? Ou à leur manque d’investissement?
Ma chronique de la semaine dernière ayant déchaîné les foudres de certains commentateurs (ainsi sur le forum de discussion neoprofs), j’aimerais revenir sur ce qui a paru à certains comme des assertions erronées. Pourtant, qu’est-ce qui pousse les jeunes issus de l’immigration nord-africaine à mal réussir à l’école ? Le racisme des enseignants – majoritairement de gauche ? Des facteurs économiques souvent défavorables – et que l’on ne peut nier ? Ou une pré-culture de l’excuse qui donne de bonnes raisons de ne pas même tenter de réussir, sauf exceptions ?
Un échec massif
Et d’abord, l’échec des populations d’origine maghrébine est-il attesté ? Oui, répond l’Insee dans une étude exhaustive parue en octobre 2012 : ces enfants réussissent en général nettement moins bien que la moyenne. Les garçons moins encore que les filles, comme nous l’a expliqué Jean-Louis Auduc, dont j’ai récemment décortiqué l’étude – sans doute parce que les filles prennent encore l’école comme un moyen de s’affranchir des tutelles parentales ou sociétales, de la pression de la « communauté » (je mets le mot entre guillemets tellement il me révulse – je ne connais qu’une communauté en France, c’est la communauté française), de l’enfermement à la maison, dans le quartier ou sous leurs voiles. Chez les garçons en revanche, c’est à qui en fera moins que son voisin.
« À cause du différentiel culturel ! » clament les bonnes âmes. La culture française, culture d’héritiers comme le disent tous les disciples de Bourdieu, est très loin de celle de ces jeunes issus directement ou indirectement de l’immigration. Et sans doute faut-il modifier les programmes afin d’être moins exigeant. Ainsi Sciences po il y a trois ans, suivant en cela une politique décidée par Richard Descoings quand il présidait aux destinées de la rue Saint-Guillaume, a supprimé une épreuve de culture générale afin de se mettre au niveau de celles et ceux qui n’étaient pas issus de la bourgeoisie française. Au grand dam de nombre d’écrivains venus d’horizons politiques fort différents – Régis Debray, Marc Fumaroli, Michel Onfray, Jean d’Ormesson, Erik Orsenna et Philippe Sollers. Des « pseudo-z-intellectuels » sans doute.
Le problème, c’est que moins on leur en demande, et moins ils y arrivent. Qui s’en étonne encore ?
L’école des “Blancs”
La faute à l’héritage ! répliquent immédiatement les mêmes belles âmes. Le poids du colonialisme – et la répétition d’attitudes néocoloniales. La guerre et ses séquelles. C’est l’avis par exemple de Houria Bouteldja, présidente du Parti des indigènes de la République, qui n’hésite pas à affirmer (dans Les Blancs, les Juifs et nous, la Fabrique, 2016) que Jean Genêt fut grand parce qu’il salua, en 1940, la défaite de l’État colonialiste français (à croire que les Allemands ne colonisaient personne), et que ce qui est blanc est, par définition, coupable. Qu’elle se doit, dans l’ordre, dit-elle, « à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam ». Et que les excès auxquels se livrent les jeunes Maghrébins ne sont que les manifestations de « la virilité testostéronée du mâle indigène la part qui résiste à la domination blanche ». Sic. Les femmes violées à Cologne n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes. Même Serge Halimi, homme de gauche s’il en fut, s’en étrangle dans Le Monde Diplomatique ce mois-ci. On le comprend.
Atlantico a demandé leur avis cette semaine à quelques spécialistes, dont votre serviteur, sur cette « culture de l’excuse » qui, comme l’explique Éric Verhaeghe, « permet de perpétuer le rapport colonial tout en semblant l’inverser ». Je ne peux que répéter ce que j’y ai expliqué : « Chose étrange, ce ne sont pas toutes les populations immigrées originaires des anciennes colonies qui ont réagi ainsi. Les Asiatiques par exemple, originaires de l’ancienne Cochinchine (le Vietnam principalement), ne présentent aucun symptôme d’une culture de l’excuse : ils travaillent dur, réussissent souvent brillamment, et se font une place dans la société française – y compris en prenant territorialement la place (à Belleville par exemple, ou dans le centre de Marseille, pour ne pas parler de l’implantation de Chinois à Alger même) de populations venues du Maghreb. […]
Il y a quelque chose de spécifique aux anciens colonisés d’Afrique du Nord qui tient peut-être à la façon dont on leur a raconté leur histoire – et il y a là une double responsabilité, celle de la famille et celle de l’école. Qui tient aussi peut-être à l’islam, à la certitude d’être dans le vrai – et d’être rejetés alors même qu’ils devraient être au sommet – et au fatalisme quelque peu contemplatif de cette religion où « c’est écrit », et où par conséquent l’effort personnel n’est pas survalorisé.
« D’où cette culture de l’excuse, le discrédit jeté a priori sur le travail scolaire, et un sentiment de frustration que la religion peut compenser – ou la violence, qu’elle s’exprime à travers la délinquance ou à travers le terrorisme – et, de plus en plus souvent, à travers les deux. » […]
Alors, qu’est-ce qui bloque chez les Beurs des années 2000? Dans quelle mythologie personnelle vont-ils chercher des excuses pour être encore et toujours discriminés, ce qui leur sert de prétexte pour ne même pas essayer de s’en sortir? Loin de moi l’idée de nier que c’est plus dur pour eux que pour des petits bourgeois français depuis trente générations et enfants d’intellectuels. Mais l’exemple du million d’Asiatiques vivant aujourd’hui en France, qui réussissent si bien qu’ils sont désormais la cible des gangs des cités de Belleville, devrait les persuader qu’avec du travail et de l’obstination, on y arrive – et non avec des jérémiades reconverties en syndrome d’échec et en violence.
(Merci à Foudil)