Spécialiste de l’islam, le politologue Olivier Roy revient pour francetv info sur l’interdiction de ce maillot de bain couvrant le corps et la tête des femmes par de nombreuses mairies côtières de France. Pour le chercheur, il s’agit d’une “tenue moderne”.
Pour les fondamentalistes, une femme n’a pas à se promener sur la plage, et encore moins se baigner ! Donc le burkini est, au contraire, une tenue moderne, qui n’a rien de traditionnel ou de fondamentaliste.
Si cette religion fait autant parler d’elle, c’est parce qu’il y a une conjonction entre une droite identitaire, qui définit le christianisme comme la religion fondatrice de la société française, et une gauche laïque et anti-cléricale.
Aujourd’hui, ce que la gauche ne pardonne pas aux immigrés maghrébins, c’est d’avoir fait des enfants musulmans. Elle s’attendait à ce que la deuxième et la troisième génération soient sécularisées et a été très surprise de découvrir une génération de croyants…
Le port du burkini est-il un signe d’adhésion à des “mouvements terroristes” ?
Ces amalgames sont absurdes. Le groupe Etat islamique ou les talibans n’autoriseraient jamais le burkini. Au contraire, cette tenue est l’exemple même de la gentrification de la pratique religieuse musulmane dans l’espace occidental. Ce maillot de bain couvrant est symboliquement lié l’ascension sociale de certaines musulmanes. Le porter représente une tentative, pour des femmes, plutôt jeunes, de poser un signe religieux sur une pratique moderne, c’est-à-dire la baignade en famille.
Le burkini est typiquement une tenue de femme de deuxième ou de troisième génération des descendants d’immigrés maghrébins. Ce n’est pas leurs mères qui le porteraient. Si elles avaient voulu se baigner, elles l’auraient fait tout habillé. Dans ce débat, il y a une incompréhension totale de ces stratégies individuelles d’affirmation. […]
Les polémiques récurrentes sur la viande halal, le port du voile à l’université ou les prières de rue poussent certains à se demander si la pratique de l’islam est compatible avec la laïcité française…
C’est un faux débat. On peut, bien entendu, se poser de nombreuses questions théologiques sur l’islam. Mais le port du foulard à l’université, du burkini, ou le débat sur la viande halal ne sont pas des problématiques propres à l’islam. Elles sont liées à l’évolution de l’acceptation des signes religieux en France, au même titre que la soutane, la kipa ou la viande casher. […]
Après une telle polémique sur le burkini, quelles peuvent-être les répercussions dans la société française ?
Cela risque de créer un sentiment de rejet et de dégoût chez les musulmans, qui pourrait se traduire par un repli identitaire. Après, il y a des tensions, mais la France est un pays de tensions permanentes. Les gens ont complétement perdu la mémoire historique. L’identité française est un mythe : relisons Celine et Bagatelle pour un massacre, souvenons-nous de l’OAS ! Les arguments utilisés par les antisémites dans les années 1920 sont aujourd’hui repris à propos de l’islam : incompatibilité culturelle et une loyauté plus grande accordée à la religion qu’à la nation.