Par Alois Navarro (Assistant parlementaire au parlement européen)
Le débat sur la politique migratoire n’a jamais été aussi brûlant, à la fois dans la classe politique, mais aussi dans l’opinion publique. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à brandir des études économiques diverses et variées au secours de leur argumentaire.
La science économique la plus standard (néo-classique) nous enseigne qu’un afflux d’immigrés est équivalent à un choc d’offre de travail, qui, si le marché du travail est suffisamment flexible, est facilement absorbé au bout d’un court laps de temps. Mais la réalité est autrement plus complexe, puisque certaines rigidités nécessaires (SMIC, contrats de travail, etc.) ralentissent les ajustements et créent donc des situations de chômage (ce que l’on voit actuellement en Allemagne avec l’afflux de réfugiés).
Dans son rapport du Conseil d’Analyse économique en 2009, G. Saint-Paul rappelle que cela peut conduire à une perte nette de richesse du fait de l’indemnisation de ce surcroit de chômage par les natifs.
Des économistes ont alors essayé d’estimer l’impact de l’immigration sur le PIB et le marché du travail, mais les conclusions divergent fortement. Quand Jean et Jimenez (2011) trouvent qu’un apport d’immigrés augmente temporairement le chômage des natifs, Damette et Fromentin (2013) concluent qu’il le réduit à court terme.
Le CEPII français trouve quant à lui qu’une hausse de 10 % de la part des immigrés dans une catégorie d’emploi dégrade d’environ 3 % le taux d’emploi des natifs ayant des caractéristiques individuelles similaires.
Concernant le PIB, Albis et al (2015) montrent, à l’aide d’une modélisation VAR (Vecteur autorégressif), que l’immigration a un effet positif, quand Kiguchi (2013) conclut l’inverse. Enfin, sur les finances publiques françaises, l’OCDE estime le coût de l’immigration à environ 10 milliards d’euros par an quand Chojnicki (2011) estime l’impact positif.
Cependant, cette dernière étude a recours à une méthodologie s’apparentant à de la ” cavalerie” , consistant à comptabiliser seulement les contributions actuelles des immigrés en omettant les créances futures auxquelles elles donnent droit (pensions de retraite, etc.).
Or, en intégrant l’ensemble du cycle de la vie d’un immigré, son coût avoisine les 8 700 euros selon Chojnicki (notamment en raison du fait que les immigrés sont plus âgés). Plus globalement, l’OCDE estime que la contribution nette au système social et fiscal d’un ménage immigré entre 25 ans (âge du chef de famille) et la fin de sa vie est de 80 000 euros inférieurs à celle d’un ménage natif.
Seulement, toutes ces études font l’impasse (par manque de données) sur l’immigration de deuxième génération, c’est-à-dire la contribution des enfants d’immigrés. Pourtant, Algan et al (2010) montre que les enfants d’immigrés des pays en développement ont un taux d’emploi inférieur à celui de leurs parents, contrairement aux secondes générations des pays d’Europe du Sud par exemple.
Pour estimer l’impact de l’immigration sur la croissance du PIB, on recourt à une modélisation VECM (vector error correction model), fréquemment utilisée en économétrie, qui permet de simuler l’impact d’un choc d’immigration sur le PIB par habitant et le taux de chômage par exemple.
En utilisant les données de l’OCDE (pour calculer le taux de migration), et de l’INSEE (pour le PIB par habitant et le taux de chômage) sur la période 1984-2013, on trouve que l’augmentation permanente de 1 % du taux d’entrées légales d’étrangers conduit à une baisse de 0,17 % du PIB par habitant au bout de 5 ans (soit environ 10 euros par an), et une hausse de 0,3 % du taux de chômage.
Pourtant, avec une méthodologie similaire, mais sur une période plus restreinte, Albis et ses confrères (étude mentionnée plus haut) ont trouvé, pour la France, un impact positif de l’immigration sur le PIB (5 euros par an pour l’augmentation du 1 % du taux de migration).
Ceci accrédite la thèse selon laquelle les outils statistiques et économiques actuels ne permettent pas toujours de conclure à un effet économique bénéfique de l’immigration, mais aussi que l’immigration avec un grand I, homogène et monolithique n’existe pas. Les effets économiques dépendent du niveau de qualification des immigrés, de l’état du marché du travail du pays d’accueil et de bien d’autres paramètres.
Les Echos