Interview de la réalisatrice Houda Benyamina qui obtenu en mai 2016 la Caméra d’or pour son premier long métrage Divines au festival de Cannes.
Elle a le cheveu libre et la parole qui file, pleine d’une énergie qu’on ne saurait endiguer. Quand on demande à Houda Benyamina, la réalisatrice de Divines, comment elle définit son identité, elle dit :
« Je suis une femme, d’origine marocaine, qui a grandi dans un quartier populaire, je suis française de confession musulmane, mais d’abord je suis une femme. »
Le point de départ, ce sont les émeutes en banlieue de 2005…
Il y a eu un avant et un après-Mai 1968. En revanche, il n’y a pas eu un avant et un après-2005. Cela n’a rien changé en fait. […]
Elle naît là, selon vous, la radicalisation d’une partie des musulmans ? Parce que la colère n’a pas été entendue ?
Musulman, cela veut dire « soumis à Dieu », ce que ces gens-là ne sont pas. Pour moi, nous sommes face à un mouvement contestataire qui se déguise en mouvement musulman pour faire valoir ses revendications face à une injustice. Tout commence là. Dans la vie, si on reconnaît ce que tu es, tu peux prendre confiance en toi. Mais là, aux gamins, on est déjà en train de dire : « Ce que tu es, ce n’est pas bien. Tu vas porter le foulard, ce n’est pas bien… » Les filles qui mettent le hidjab à 15 ans, elles ne connaissent rien à l’islam en général. Mais quand, à l’école, tu dis à une gamine : « Tu ne mettras pas le foulard, tu n’as pas le droit d’être en burkini à la plage », cela crée une frustration et un désir de liberté. Vous verrez, le burkini, on en comptait une dizaine, on va en avoir des millions. Il y a une injustice, une loi injuste, qui met des gens en colère, et malheureusement ces gens n’ont pas le verbe, pas le bon verbe…[…]
A partir de ce constat, comment fait-on pour sortir de l’impasse ?
On s’en fout du « comment », ce qui compte, c’est le degré de croyance dans la possibilité de changer la société. Moi, quand j’étais gamine, je pouvais être assise à côté d’un fils de médecin ou d’instituteur. Aujourd’hui, on a créé des sociétés dans la société, on a réuni les gens dans des codes vestimentaires, une architecture, une manière de manger. Ces gens-là, s’ils se sentent humiliés, ils peuvent donner des monstres. Ceux qui n’ont rien à perdre sont facilement manipulables. Mais ces monstres, c’est nous qui les avons créés. Quand je dis « nous », je me mets dans le sac, je me sens responsable de ce qui arrive. Le problème, c’est que l’on est tous en train de regarder le bouc émissaire, de dire : « Regardez : c’est eux. » Le FN l’a bien compris… Quand Marine Le Pen sera présidente – ce qui va arriver, c’est sûr –, ils verront qu’elle n’est pas une solution. On va juste perdre dix ans, peut-être quinze… Mais on va toucher le fond. Allons toucher le fond… Bien comme il faut. […]
Le Monde