Tribune de Saïd Bouamama, sociologue, publiée sur le site musulman oumma, dans laquelle il estime que les polémiques liées aux attentats et au communautarisme musulman servent à masquer les questions sociales. Il prône le “rapport des forces” face à l’islamophobie et la “fascisation” de la société française.
L’été 2016 a été marqué par trois faits de nature différente : un ignoble attentat endeuille le pays le 14 juillet, une loi détruisant le code du travail massivement rejetée par la population et les travailleurs est votée le 21 juillet et un arrêté municipal interdisant l’accès à la plage pour les femmes portant un « burkini » est pris à Cannes, déclenchant en quelques jours une véritable épidémie d’arrêtés similaires dans d’autres villes. Les réactions sociales et les commentaires politiques et médiatiques qui ont suivi ces trois événements constituent un excellent analyseur de l’état de notre société, des contradictions qui la traversent et des intérêts qui s’y affrontent.
« Radicalisation rapide », stratégie de dissimulation et production d’une psychose collective
Dès le 16 juillet, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve évoque la thèse d’une « radicalisation rapide » du chauffeur meurtrier accompagnée d’une série de précisions angoissantes […].
L’hebdomadaire Mariane titre « Taqiya : la dissimulation comme nouvelle arme de guerre », en expliquant en chapeau d’article […]. Du Figaro à Nice-Matin, en passant par BFM ou RTL, ce nouveau mot angoissant entre dans le vocabulaire. Non seulement ils se radicalisent vite, mais de surcroît ils se dissimulent pour ne pas être repérés. Décidément, nous devons nous méfier de tous les musulmans ou supposés tels. Une dose supplémentaire de psychose est ainsi diffusée quelques jours après la première. […]
Le « burkini » comme dissimulation du « djihadisme »
L’assassinat du prêtre Jacques Hamel dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 28 juillet, achève de créer les conditions des dits « arrêtés anti-burkini ». […] Une nouvelle fois une pratique sociale est désignée comme « problème », non pas par la population mais par une autorité politique. Le moment de l’arrêté indique son caractère opportuniste. Il s’agit simplement d’utiliser le contexte d’émotion intense lié aux deux drames de juillet pour faire avancer un agenda préétabli : imposer l’immigration et l’identité comme deux centralités de la présidentielle. […]
Quelles ont donc été les réactions de riposte à ces symptômes de l’enracinement de l’islamophobie dans une partie de la population française ? Nous en
distinguons trois : la condamnation compréhensive ; la thèse du racisme historique de la population française et la thèse de l’instrumentalisation.
La première a été largement dominante. Elle consiste à faire précéder (ou à faire suivre) la condamnation des actes islamophobes par une longue diatribe visant à condamner le « burkini », le « communautarisme », « l’islamisme », etc., selon les différentes déclarations. […] La première a été largement dominante. Elle consiste à faire précéder (ou à faire suivre) la condamnation des actes islamophobes par une longue diatribe visant à condamner le « burkini », le « communautarisme », « l’islamisme », etc., selon les différentes déclarations.
La seconde réaction consiste en une vision essentialiste de l’islamophobie française. Le peuple de France serait congénitalement islamophobe et cela se révélerait dans des moments de difficultés sociales ou de crises sociales et économiques. Outre qu’elle ne peut produire que des postures d’impuissance politique cette thèse nie le caractère politiquement produit de l’islamophobie contemporaine. […] Cette seconde réaction comporte néanmoins un élément de vérité. Il existe dans la société française un héritage culturel islamophobe hérité de l’histoire coloniale française qui n’a jamais été déconstruit, ni combattu sérieusement. Celui-ci n’est d’ailleurs qu’un segment d’un racisme colonial plus vaste construit en même temps que la pensée républicaine dominante. C’est ce qui explique la possibilité d’un « racisme républicain ». Cet élément de vérité est justement nié par la troisième réaction qui a marqué l’été français. Tout ne serait affaire que d’instrumentalisation pour masquer d’autres questions sociales, telles que le vote de la loi El Khomri. […]
C’est aujourd’hui qu’il faut réagir pour détruire cette logique dominante. Cela passe par une véritable prise en compte de la lutte contre l’islamophobie dans les agendas politiques et militants. Sans une telle mobilisation, nous assisterons impuissants à une fascisation de notre société et à la réunion progressive des conditions d’un pogrome, à l’ombre desquelles le projet ultralibéral pourra se déployer avec de moins en moins de contestation. Une telle logique ne disparaît pas seule ou par la « discrétion ». Elle ne s’arrête que par le rapport des forces.
oumma